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La prison de Fresnes pendant l’Épuration : caricatures de André de Rose, alias “Guy Hanro”, ancien combattant de la LVF et de la division SS Charlemagne

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Jean-Claude Vimont

Les pamphlets des épurés produits aux lendemains de la Libération et dans les premiers temps de la Guerre froide véhiculent quelques images convenues de l’univers carcéral où furent regroupés les détenus pour faits de collaboration. Fresnes a compté plus de 2300 prévenus et condamnés. La maison d’arrêt est donc fréquemment évoquée dans les témoignages, poèmes, chansons, dessins des justiciables des Cours de Justice ou de la Haute Cour de Justice. Guy Hanro ne se contente pas d’un reportage à prétention humoristique. Son recueil de dessins et de textes est aussi un pamphlet contre les vainqueurs, contre la République, contre la justice politique. Il rend également hommage à quelques victimes célèbres participant à l’édification d’un martyrologue quelque peu confidentiel, confiné dans les milieux de l’extrême-droite et des anciens collaborateurs.

Le Musée national des prisons conserve un curieux manuscrit d’une cinquantaine de feuillets illustrés et signé Guy Hanro, également orthographié Gui Hanro. Le format est de 19,5 cm par 27 cm. Les textes sont parfaitement calligraphiés et accompagnés de dessins humoristiques rehaussés de quelques couleurs. La page de titre est raturée. L’auteur a barré “souvenirs de prison” puisque le manuscrit comporte des oeuvres de sa plume, mais aussi de quelques compagnons de détention comme Robert Brasillach ou l’officier de la Légion des Volontaire Français (LVF) Demessine. L’auteur agrémente sa signature, ornée d’une araignée, de la mention “45″, sous de nombreux dessins. Il évoque le sort de quelques condamnés aux travaux forcés ou à la peine de mort des premiers temps de l’Épuration. La chronique semble donc concerner les années 1944 et 1945 dans la prison de Fresnes. Catherine Prade, l’éminente conservateur du Musée de Fontainebleau, m’avait confié une copie de ce manuscrit lorsque je travaillais sur les dessins de Ralph Soupault [1] , le caricaturiste de Je suis Partout et de Combats, l’hebdomadaire de la Milice, dessins publiés sous le pseudonyme de Rio, Fresnes, reportage d’un témoin. Le manuscrit demeura inexploité car l’identification de l’auteur est malaisée.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page de titre) (Musée national des prisons)

Jean-Claude Farcy ne mentionne pas ce témoignage dans sa Bibliographie d’histoire de la justice française (1789-2008). Bénédicte Vergez-Chaignon ne le cite pas non plus dans Vichy en prison, Les épurés à Fresnes après la Libération, publié en 2006. Les récits et pamphlets des victimes de l’Épuration sont muets sur cet auteur, sur cet hôte de la cellule 460 de Fresnes. Songer à l’emploi d’un pseudonyme dans la perspective d’une publication par un journaliste interdit de publication après-guerre est une piste qui ne devait pas être négligée. D’autant qu’une page incitait fortement à des investigations dans ce milieu des journalistes sanctionnés. La vingt-cinquième du recueil est titrée : “P.P.P.P. , le Petit Parisien présent partout, in memoriam.” Le poème moque la presse de la Résistance, en particulier Franc-Tireur, précise que d’ex-rédacteurs des Nouveaux Temps, le quotidien de Jean Luchaire, et du Petit-Parisien de Claude Jeantet, en sont les lecteurs clandestins avant d’en faire usage aux toilettes. En bas de la page, d’une écriture peu lisible mais distincte de la typographie des poèmes, une dédicace : “À mon chef de cabinet Jacques Fourret (ou Tourret) en toute amitié, 31 août 1945, (illisible, Jean-Marc…), ex-directeur administratif du Petit-Parisien”. On pouvait donc émettre l’hypothèse que l’auteur appartenait à cet organe de presse, sans pouvoir préciser sa fonction. Ce quotidien relaya les consignes des autorités allemandes pendant toute l’Occupation, accueillant nombre de journalistes du Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot et de l’hebdomadaire Je suis partout, notamment Alain Laubreaux, Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Georges Blond, Henri Poulain. Claude Jeantet fut le rédacteur en chef du Petit-Parisien jusqu’en 1944, en même temps qu’il était l’un des principaux actionnaires de Je suis partout. Durant les années trente, cet ancien militant de l’Action Française avait la responsabilité de la page allemande de cet hebdomadaire et, membre du PPF, écrivait aussi dans la presse militante de ce parti. Les caricatures anti-républicaines, les diatribes contre la résistance communiste et contre les valets de De Gaulle, les hommages à des miliciens ou à des policiers des Brigades spéciales, le soupçon d’antisémitisme dans deux dessins iraient dans le sens de cette hypothèse, puisque les convictions réaffirmées du caricaturiste étaient celles de cet organe de presse aux ordres des nazis. Les dessins de Hanro mettent fréquemment en scène un personnage à la calvitie avancée, vêtu d’une redingote et d’un gilet rayé. Le procédé fait songer aux autoportraits de Ralph Soupault, aisément reconnaissable parmi ses compagnons de cellule à cause de ses lunettes de myope.

Cette hypothèse s’est trouvée invalidée par un échange de correspondance avec le fils (ou le frère) de ce dessinateur, à la suite d’une première publication de cette contribution. Il a reconnu la petite araignée qui orne toutes les signatures des dessins et m’a affirmé que d’autres dessins à sa disposition comportaient également ce signe distinctif. Le style des caricatures lui était également familier. Nous n’avons pas pu nous rencontrer pour effectuer des comparaisons entre le recueil du Musée national des prisons et les oeuvres conservées dans sa famille. Cependant, il m’affirma que son père (ou son frère) avait été officier dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF), son grand père étant lui-même inspecteur régional de cette organisation. Quelques dessins et poèmes en hommage à des “martyrs” de cette formation militaire de la collaboration trouveraient ainsi une explication par le compagnonnage des armes et la proximité idéologique.

André de Rose aurait été un officier de la LVF, probablement du bataillon de marche de Grufenberg. Fin février 1945, il aurait rejoint la division SS Charlemagne, aux côtés d’anciens de la Sturmbrigade, et de la Milice. Il y aurait commandé un temps la 2e compagnie du premier bataillon du régiment 58. Des recherches généalogiques incomplètes nous incitent à penser qu’il était l’un des quatre enfants du pionnier de l’aviation de chasse française, Charles de Rose, baron de Tricornot et marquis de la Rose, né en 1876 et décédé accidentellement à bord de son avion en 1916. Cet officier de cavalerie, catholique conservateur avait refusé de participer aux inventaires de biens d’église en 1905. Il avait été brièvement emprisonné par la République et suspendu par le ministère de la guerre. André de Rose n’était pas le seul aristocrate à rejoindre les troupes françaises sous uniforme allemand. Par haine du communisme et par crainte du bolchevisme ? Nous manquons de précisons actuellement sur l’itinéraire de ce condamné pour faits de collaboration, pour intelligence avec l’ennemi et trahison.

Les récits et les images produits par les épurés exigent de recourir à des grilles de lecture car, sous l’apparence du témoignage et du reportage, ils participent d’un combat idéologique contre les vainqueurs du jour. Systématiquement, ils mettent en cause les formes de la justice pendant l’Épuration, les conditions de détention, la Résistance et principalement la résistance communiste, la République et ses valeurs. Ces écritures contraintes sont autant de plaidoyers pour une cause proscrite et tentent une réhabilitation des plus lourdement condamnés. Souvent publiés dès les débuts de la Guerre Froide, ils n’hésitent pas à assimiler les mobiles d’un engagement passé à ceux que motive la nouvelle donne Est-Ouest. Quelques-uns ne renient rien. Ils justifient leur présence aux côtés du Maréchal, leur enrôlement dans les troupes de la Milice, de la LVF ou dans les partis collaborateurs. C’est ce que nous avons montré dans l’article “Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération » [2] Quelques images fortes reviennent dans toute cette production et elles ont contribué à dénigrer la justice de l’après-guerre, à véhiculer dans une partie de la mémoire nationale une “légende noire” de l’Épuration. Les dessins de Guy Hanro n’échappent pas aux lois du “genre”.

Un premier ensemble de dessins présente les grandes caractéristiques de la détention politique à Fresnes. Confrontés pour la première fois de leur vie au monde de la prison, tous les épurés s’efforcent de décrire leur univers. Tous mentionnent les “aboyeurs” d’étage, les rails où cheminent les marmites de soupe, les cellules à trois détenus, les parloirs à double grille, la chapelle cellulaire, les chaînes des condamnés à mort, les neuf barreaux des croisées, mais aussi le froid, l’humidité, la faim, les colis dépecés par les gardiens et la proximité humiliante. Chacune de ces images devient un topos de la production des épurés et va étayer une part de la contre-culture de ces exclus qui continueront de se fréquenter durant les années cinquante, se recevant et commentant les articles des journalistes de Rivarol. Il ne s’agit pas de contester la réalité de ce que fut cette détention quelque peu désordonnée dans une prison théoriquement cellulaire. Fresnes n’est plus “la prison quatre étoiles” moquée lors de son ouverture en 1898. Les prévenus politiques ont envahi plusieurs divisions et le “navire immobile” bruisse des appels aux parloirs, aux avocats, aux jugements, sans cesse parcouru d’auxiliaires, de détenus en transfert et de gardiens.

Guy Hanro, À travers l’Épuration, page 8 (Musée national des prisons)

Dans une première partie intitulée “poèmes”, l’auteur invite à une découverte de la prison, commençant par le transfert depuis le Dépôt de la Préfecture de police, les formalités d’écrou, le passage à l’anthropométrie, le placement en cellule d’attente avant le transfert dans la première ou la troisième division : “Ce stage terminé, à la suite d’un sbire/ Vous longez le couloir qui mène aux divisions / Une, deux, puis trois ! Vous faites l’excursion / Quatre étages de haut, profond, comme un navire.” Cette comparaison revient dans de nombreux textes. Les détenus ont été impressionnés par cette construction vaste et haute, due à l’architecte Henri Poussin. Louis Truc, dans sa Ballade de la geôle de Fresnes, publiée à compte d’auteur dès 1945, écrivait : “Fastidieuses parallèles, / Tuiles ocres sur murs de nuit,/ Bâtises mornes et jumelles, Fresnes ruisselle l’ennui / de ces barres sempiternelles ! / Vingt-huit fenêtres par étage / Font cent douze fois neuf barreaux ! Quel architecte fou de rage / A pu, dans ses calmes bureaux, / dresser les plans de cette cage ?” [3] Le dessin reproduit ci-dessus insiste sur un aspect des coursives de Fresnes : la présence de détenus responsables d’étages, transmettant les ordres d’extractions, auxiliaires administratifs des gardiens en trop faible nombre. Les poèmes évoquent ensuite l’univers plus privatif des cellules, peuplées de trois détenus, dont deux allongés la nuit sur des paillasses, au plus fort des arrestations fin 1944 et en 1945 : “Mais comment faire à trois pour une seule couche / Deux amis s’étendront par terre dès le soir / Deux paillasses seront office de dortoir / Vite on prend l’habitude, on dort comme une souche.“.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 10) (Musée national des prisons)

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 12) (Musée national des prisons)

La prison hygiénique et cellulaire s’est gravement détériorée depuis son inauguration à la fin du siècle précédent. Son “grand Quartier” est devenu “quartier allemand” pendant l’Occupation. L’isolement cellulaire préconisé par la loi de 1875 pour les prévenus et les courtes peines ne peut être appliqué. Il fut rappelé lors de la rédaction des quatorze points, des quatorze principes de la réforme pénitentiaire en 1945, mais resta lettre morte tant les prisonniers étaient nombreux. Les prisonniers souffrent du froid, les murs suintent, des croûtes de salpêtre se détachent, les rations alimentaires sont insuffisantes et seuls les colis des familles peuvent améliorer l’ordinaire. Toutes sortes de trafics entre détenus et avec les gardiens sont organisés. Yoyos et camionnettes rompent la solitude et acheminent le tabac et la presse. Par craintes des évasions les gardiens fouillent les colis. C’est à l’origine de petits drames lorsque tous les vivres sont gâchés ou mélangés.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page17) (Musée national des prisons)
“Allo deux cent vingt neuf ! Filez la camionette / La voix venant d’en bas, vient jusqu’à nos barreaux /Nous allons recevoir ainsi quelques journaux /Ou contre trois mégots changer des allumettes”

Guy Hanro, À travers l’Épuration, page 19 (Musée national des prisons)
“Heureux le prisonnier, celui dont la famille / Lui peut chaque semaine, apporter un colis / Pendant trois jours sur sept, autres jours abolis/ Avec ses trois kilos, sa faim sera tranquille”


Quelques traits spécifiques à la prison de Fresnes ont profondément marqué les détenus de la collaboration : les marmites bruyantes acheminées sur des rails tout au long des coursives par des auxiliaires, les parloirs à doubles grilles qui isolent les visiteurs des prisonniers, la chapelle et son dispositif de boîtes cellulaires où normalement les détenus auraient dû être isolés les uns des autres : “Un gardien nous culbute en nos noires cellules / Nous sommes, deux par deux, entassés, compressés / Nous sommes bien cinq cents, dont l’esprit étonné / Attend de voir son Dieu par des trous ridicules

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 21) (Musée national des prisons)

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 14) (Musée national des prisons)


Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 39) (Musée national des prisons)

La chronique de Guy Hanro n’est pas qu’une aimable pochade pour raviver les souvenirs de compagnons aux jours de la liberté retrouvée. Plusieurs vignettes et quelques textes stigmatisent les nouvelles autorités. L’auteur s’en prend d’abord à la justice politique. L’article 75 du Code pénal qui sanctionnait “l’intelligence avec l’ennemi” a droit à une chanson sur l’air de Lily Marlène. Philippe de Saint-Germain lui consacra tout un ouvrage en 1951, au plus fort des campagnes pour l’amnistie des collaborateurs.

Les épurés se récrient devant ces accusations de trahison qui jettent l’opprobre sur la nature de leur engagement. Ils dénoncent les pièces fabriquées, les calomnies, s’émeuvent de la sincérité de jeunes combattants qui n’ont pas choisi le bon camp, protestent de la sincérité du plus grand nombre. Guy Hanro écrit : “Quel est donc notre crime ? un délit politique / Que ce délit soit faux ou même véridique / Dans l’un et l’autre cas, on veut nous renier.” Il se moque des magistrats des Cours de justice. Ils sont le “tribunal’s girl” dansant autour d’une marmite appelée justice ou encore le “tribunal’s circus” prononçant de manière aléatoire les sanctions. Une liberté aveugle et enchaînée actionne la grande roue des condamnations. Les plateaux de la balance de la justice, de part et d’autre d’un glaive émoussé, sont déséquilibrés par l’argent de la prévarication. L’épuration comme une loterie, comme une partie à pile ou face.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 33) (Musée national des prisons)

Les juges ne sont que les fonctionnaires d’un nouveau régime. La République, quatrième de son nom, est, elle aussi, caricaturée. Elle est peinte sous les traits d’une vieille Marianne à bonnet phrygien, avachie, les seins tombants, le nez rouge et un tatouage sur le bras, un bas résille filé pour compléter le tout. La devise républicaine ne subit pas un meilleur sort. La liberté est illustrée par un bagnard encellulé, à vêtement rayé comme il se doit, fers aux bras et aux pieds. La fraternité, c’est un pugilat. L’égalité, un mendiant et un homme d’affaire capitaliste. La représentation de ce dernier, haut de forme et habit, panse rebondie sous un gilet orné de décorations et chaîne de montre, n’est pas sans faire penser aux caricatures antisémites de Ralph Soupault dans Je suis partout. Comme sous le trait du dessinateur PPF, figurant l’allégorie du Juif, l’homme est ici assez volumineux, de larges bajoues de part et d’autre d’un nez crochu. La supposée richesse juive semble encore inspirer le dessinateur. Une autre allégorie de la liberté, celle de Bartholdi, est présentée enchaînée. Elle n’éclaire plus le monde, mais la prison de Fresnes. Une petite Marianne au corps déformé allaite un chat.

La Résistance, et plus précisément la résistance communiste, fait aussi l’objet de quelques piques. Au détour d’un vers, il est question des “sales cocos”. Les FFI sont présentés comme des brutes avinées, de mauvais garçons peu avares de coups de matraque et lourdement armés. Le thème des résistants de la dernière heure, des brassards FFI distribués au hasard, des combattants “qui flanquent des gnons” et “crêpent le chignon des femmes” contribuent à la confection du thème que théorisera l’abbé Desgranges, le résistancialisme, et à sous entendre qu’une terreur rouge aurait fait des milliers de victimes dans les premiers temps de la Libération.

Guy Hanro reproduit à la fin de son recueil des poèmes de condamnés à mort. On sait que le poème “les bijoux” de Robert Brasillach a circulé dans les détentions, peu après son exécution. Tous les ouvrages des épurés rendent hommage aux pensionnaires enchaînés et affublés de pantalons mexicains du “quartier des fauves” de la prison de Fresnes. C’est le martyrologue de l’Épuration et Guy Hanro y participe, figurant à plusieurs reprises ces prisonniers enchaînés. Il conviendrait de mesurer l’impact, dans cette oeuvre mais aussi dans d’autres témoignages, dans les récits comme dans les images, de la représentation des chaînes. Elles entravent les victimes de l’article 75, selon Philippe Saint-Germain, elles résonnent lugubrement dans les couloirs déserts lors de certaines aubes fatales. Plusieurs ouvrages consacrés à Henri Béraud insistent, dans leur titre même, sur ces chaînes qu’il dut porter quelques jours après sa condamnation à mort. Nous signalions la salissure que représentaient les condamnations pour trahison. Les fers, les entraves en sont la traduction concrète. Les épurés rejoignent une ancestrale tradition libérale d’exigence d’un statut de détenu politique, préservant la dignité des vaincus du jour. Ils ne citent pas Magalon qui, sous la Restauration, protestait d’avoir été enchaîné à un galérien galeux lors de son transfert dans la maison centrale de Poissy. Le sort d’Henry Béraud, acheminé lui aussi à Poissy au milieu de détenus de droit commun dont des prévôts qui y exerçaient une certaine autorité, fut hissé au rang d’inconvenance suprême du nouveau pouvoir par les nostalgiques de l’ancien régime. Les chaînes, mais aussi les pantalons mexicains, avec des boutons sur le côté. Ils devaient permettre de conserver les entraves pendant le sommeil de la nuit, alors que le détenu devait remettre ses vêtements aux gardiens et les placer hors de la cellule. Le ridicule du vêtement est lui aussi tourné en dérision.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 50) (Musée national des prisons)

Guy Hanro cite plusieurs noms de condamnés à mort et reproduits leurs textes. Brasillach, fusillé le 6 février 1945, conclut le recueil avec trois poèmes : “A André Chénier”, “Noël en taule” et “Les bijoux”. Avant lui, il est fait mention de R. Simonnet, condamné à mort le premier juin 1945. Le commandant A. Demessine de la LVF a écrit un texte, dédié à Robert Brasillach, “Dernier poème de la vie”. Il sera exécuté le 15 mars 1945 et il séjourna dans la même cellule 77 de la première division que Brasillach. Le poème est illustré d’un unique écusson tricolore, avec la mention France, ce que portaient sur le bras de leur uniforme allemand les légionnaires de cette organisation politico-militaire engagée sur le front russe. Cet écusson orna l’uniforme de l’auteur et Demessine fut l’un de ses chefs sur le front russe.

Un long poème en argot semble avoir été signé par Fernand David. Ce commissaire de police, fusillé le 5 mai 1945, avait mené la traque aux résistants communistes à la tête de l’une des Brigades spéciales de la Préfecture de police.

Le recueil de Guy Hanro n’a pas grande valeur, intrinsèquement. Il n’apporte guère d’informations nouvelles sur la prison de Fresnes des épurés. Il montre cependant comment certaines images ont acquis une force, une dimension qui va perdurer bien au-delà des années quarante, ont influencé quelques historiens et une part de l’opinion. Il contribue à l’édification d’une légende noire, ne dissimulant pas ses préférences politiques. Elles ont été oubliées par quelques auteurs qui n’ont retenu que l’imagerie négative au point de confondre la subjectivité d’un témoin, et même d’une victime, avec l’histoire.

 


[1] ]Jean-Claude Vimont, “Le caricaturiste enfermé. L’Histoire de la Justice en France et les représentations iconographiques“, dans Pascal Dupuy (dir.), Histoire, images et imaginaire, Pise, 2002. Jean-Claude Vimont, ” Images ambiguës d’un navire immobile : la prison de Fresnes des épurés”, Sociétés et représentations, 2004, n°18, p. 217-231.

[2] Jean-Claude Vimont, “Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération » dans Michel Biard (dir.), Combattre, tolérer ou justifier ? Ecrivains et journalistes face à la violence d’Etat (XVIe-XXe siècle), Rouen, Presses universiatires de Rouen et du Havre (PURH), Cahiers du Grhis, 2009, p. 145-174.

[3] Louis Truc, Ballade de la geôle de Fresnes, Paris, Le Troll, 1964, p. 23.


Un graffiti sur les soeurs Papin

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Dans le cadre de ses recherches sur la reconversion des prisons héritées du XIXe siècle et récemment désaffectées, Mathilde Fouché, étudiante en master patrimoine de l’Université de Rouen, a eu l’occasion de visiter le palais de justice et la prison du Mans. Dans la souricière du palais de justice, jouxtant la salle de la cour d’assises, elle a découvert de nombreux graffiti énumérant les affaires et peines prononcées. Ils auraient été rédigés par les gendarmes qui gardaient les prévenus. Parmi eux, un graffiti mentionne la condamnation en 1933 des soeurs Papin, celle de Christine à la peine de mort et celle de Léa à dix années de travaux forcés. Les graffiti réalisés par des détenus emprisonnés ou par des pupilles de colonies pénitentiaires avaient retenu l’attention des historiens. Que des gendarmes se livrent au même exercice est plus étonnant.

Photographie de Mathilde Fouché, 2010

Photographie de Mathilde Fouché, 2010

Photographie de Mathilde Fouché, 2010

Photographie de Mathilde Fouché, 2010



Les graffiti de la maison d’arrêt du Havre

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Jean-Claude Vimont

Les mutations carcérales contemporaines, notamment les fermetures des maisons d’arrêt construites au XIXe siècle vont entraîner la destruction ou la reconversion d’édifices situés en centre ville et dont l’emprise foncière aiguise les appétits. C’est le cas à Lyon, à Rennes, au Havre… Nous avions appelé l’attention en 2008 sur la disparition programmée des graffiti qui témoignaient du séjour des détenus dans le numéro 25 de Sociétés et Représentations.

Cet appel faisait écho à une prise de conscience récente de l’intérêt de ces témoignages personnels chez les concepteurs de guides de monuments historiques. Pour ne citer que trois exemples, les brochures “touristiques” à propos du château d’Angers, des tours de la Rochelle et à propos de l’abbaye de Fontevraud font mention des traces laissées sur les murs par les détenus, témoignages du passé carcéral d’édifices prestigieux. Il est écrit dans une brochure sur Fontevraud : “Les dures conditions de la vie carcérale, évoquées par Jean Genet dans son roman Miracle de la rose, ont laissé des cicatrices gravées dans la pierre. parmi elles, les graffitis exprimant la souffrance et l’espoir des détenus. Cherchez, observez… Les pierres vont vous “parler”.

Les enquêtes menées en avril 2010 par l’équipe pluridisciplinaire de l’ANR “sciencepeine” au sein de la maison d’arrêt et de correction du Havre, sur le point d’être vidée de ses prisonniers, ont permis de découvrir des graffiti de plusieurs époques et des registres de punitions où cette activité était sanctionnée. Ces traces, ces formes rudimentaires de messages ne sont pas toujours aisées à décrypter et leurs localisations improbables interrogent. Cette courte contribution sera certainement enrichie par les membres de notre équipe de recherche qui, chacun de leur côté, ont été interpellés par ces messages gravés dans la pierre ou sommairement inscrits au feutre dans un coin de cellule.


Un geste prohibé

 Les visites des chercheurs ont suivi de peu les déménagements des documents administratifs aux Archives départementales de Seine-Maritime et la livraison à une entreprise de destruction des pièces qui n’entraient pas dans les catégories envisagées par les circulaires du ministère de la justice sur la conservation. Elles négligent certains aspects de la vie quotidienne et matérielle des détenus. Les registres de la cantine ou ceux des sanctions prononcées par le prétoire de la prison ne sont pas protégés par les instances de conservation. Les dossiers personnels établis après 1945, eux non plus, ne sont pas prioritaires aux yeux des archivistes. Des pans entiers de la vie quotidienne des établissements risquent de disparaître dans la précipitation des fermetures d’établissements. Les priorités ministérielles concernent les transferts, l’intégration dans les nouveaux établissements à gestion mixte (public-privé). le patrimoine d’un univers stigmatisé par les défenseurs des droits de l’homme, par la Commission européenne est relégué, abandonné aux collectivités locales.

Dans les greniers de la maison d’arrêt restaient quelques épaves. Les registres de punition ont retenu notre attention. Datant des premières années du XXe siècle, ils mentionnent les graffiti parmi les actes sanctionnés par les surveillants : “le matin de sa libération, a fait de nombreuses inscriptions sur le mur de sa cellule”. La discipline est rigoureuse. Ecrire son nom sur un mur est réprimé, comme fumer dans les cabinets ou dans l’atelier, bavarder au dortoir, mal répondre à un gardien ou l’injurier, “mal se tenir à l’atelier”, uriner à plusieurs reprises hors du baquet (cette tinette qui empuantit dortoirs et ateliers), susciter du désordre… L’interdiction de fumer et l’obligation du silence avaient été introduites dans les règlements intérieurs des maisons centrales dès 1839, lors de ce tournant répressif qui caractérisa le mi temps de la Monarchie de Juillet. Les gestes de solidarité à destination d’un co-détenu puni de “pain sec” – lui offrir de la nourriture ou du café – sont aussi réprimés. Un prévôt est conduit pour huit jours en cellule pour avoir bavardé et laisser bavarder dans le dortoir dont il avait la responsabilité. La sanction pour un graffiti est de huit jours de cellule au quartier disciplinaire.

Registre des punitions (Avril 2010, photo J-C Vimont)

La pratique semble fréquente car elle revient presque tous les jours dans les listes de punitions. Les inscriptions et messages ne sont malheureusement pas cités.


Les inscriptions sur le mur d’enceinte

 En parcourant le chemin de ronde, cet étroit passage entre le mur d’enceinte extérieur et les cours ou bâtiments, espace de tous les dangers car les surveillants y ont l’autorisation de tirer, lieu d’atterrissage des parachutes mal envoyés depuis la rue, nous avons eu la surprise d’y découvrir des graffiti. Ils ont été gravés sur les briques rouges du mur d’enceinte, principalement à l’angle nord-est.

Avril 2010, photo J-C Vimont

Avril 2010, photo J-C Vimont

Avril 2010, photo J-C Vimont

Avril 2010, photo J-C Vimont

Avril 2010, photo J-C Vimont

Les datations sont rares. Nous avons relevé un “1904″ sur l’une des briques. Les détenus préfèrent graver leur nom, leurs initiales, leur numéro de matricule comme autant de signatures, de réaffirmations de leur identité, comme traces d’un passage. La localisation ne manque pas d’intriguer, car la prison disposa de tous temps d’un chemin de ronde, strictement prohibé aux détenus. Une hypothèse peut être avancée. À proximité de l’angle où se concentrent les plus nombreux graffiti, les cours de promenade du quartier des hommes ont connu des changements de configuration, en particulier lorsque l’on créa des promenoirs solitaires au début du XXe siècle. L’usage de l’Administration pénitentiaire de mobiliser les compétences professionnelles de ses détenus pourrait expliquer des signatures laissées par les maçons employés à l’aménagement du “camembert” cellulaire, envisagé par l’architecte Lucien Lefort en 1910.


Les graffiti des cellules

 Les prisonniers de la maison d’arrêt et de correction sont jeunes, très jeunes. À l’exception d’hommes plus âgés, prévenus ou condamnés pour des affaires de moeurs et isolés dans les dortoirs du quartier “commun”, les jeunes sont installés dans la détention cellulaire. Elle était censée leur offrir des cellules individuelles en vertu de la vieille loi de 1875 et en application des principes réformateurs de 1945. Ils s’entassent à trois par cellule, comme dans beaucoup de maisons d’arrêt françaises. Les jeunes des cités havraises constituent la majorité de la population pénale. Les graffiti des cellules témoignent de cet ancrage dans les quartiers, de l’appartenance à des bandes, à des territoires. Les jeunes dressent des listes de quartiers, vantent “la Mare Rouge” ou “Bléville”, puisque le Havre a intégré ses périphéries, sans disposer aujourd’hui de banlieues comme dans l’agglomération rouennaise. Trafics de drogue, de shit (des joints sont dessinés), agressions, violences et vols conduisent dans la prison de la rue Lesueur.

Boîte à courrier sur une porte de cellule (Avril 2010, photo J-C Vimont)

Les goûts, les espoirs, les modes et expressions des cités décorent les murs, auprès des lits superposés, dans ces cellules décrépies où ils vivent à trois. Les frustrations sexuelles génèrent messages et dessins, comme autrefois. Ce que déploraient les détenus politiques confrontés à des “obscénités” qu’ils reproduisirent dans leurs mémoires pour accentuer l’impression de vécu réel et pour s’en prendre à des pouvoirs peu respectueux de leur dignité.

Avril 2010, photo J-C Vimont

Le désir s’exprime avec des mots crus. L’orthographe est approximative. Des tensions surgissent de la promiscuité et de l’oisiveté (les listes d’attente sont longues pour être employé dans les ateliers de conditionnement de la prison). Des incidents émaillent l’emprisonnement : affrontements entre membres des bandes rivales, rackets et châtiment des “balances”.

Avril 2010, photo J-C Vimont

Les graffiti parlent des sanctions : isolement ou transfert au quartier disciplinaire, dans les cellules du mitard, au rez de chaussée, à l’extrémité des ailes de détention. Tous les détenus évoquent le temps subi, le temps de l’incarcération. Ce sont les barres de décompte des jours, les calendriers avec les jours barrés, les mois jusqu’à la libération et les durées à subir encore. Le temps de la privation de liberté est omniprésent sur tous les murs.

Avril 2010, photo J-C Vimont

Avril 2010, photo J-C Vimont

Les graffiti surprennent toujours. Les messages sont codés. Les abréviations ne peuvent être comprises que par les initiés. C’était déjà le cas pour ceux des mineurs parisiens conduits dans la colonie pénitentiaire des Douaires, près de Gaillon, dans l’Eure. Au détour d’un couloir menant au grenier de la détention, nous avons repéré un “mort aux vaches”, peut-être inscrit par un apache de la région havraise ?

Avril 2010, photo J-C Vimont

Une prison cellulaire canadienne

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Jean-Claude Vimont

The Nicholas Street Gaol of Ottawa est une originale reconversion d’une prison en auberge de jeunesse, préservant bien des aspects du patrimoine carcéral, que les touristes peuvent approcher à l’occasion d’une visite organisée, tout en assurant l’hébergement. L’originalité du lieu réside principalement dans ses cellules étroites, dites “cellules tambour”, et dans l’espace étroit où se tenaient les pendaisons.

(Cette modeste contribution, plus photographique que scientifique, aimerait être enrichie par les amis de Criminocorpus, puisque les archives disponibles sur cette prison sont rares. Mais l’utopie cellulaire poussée jusqu’à cette extrême méritait d’être montrée. J-C Vimont)

L’établissement fut construit en 1860 et 1861 par l’architecte Henry Hodge Horsey (1830-1911), qui édifia également le City hall d’Ottawa, des hôtels et des églises. Il était situé au 75 de la rue Saint Nicholas, à proximité du palais de justice et relié à lui par un souterrain, toujours visible. La prison du comté de Carleton, conçue quelques années avant la création de la Confédération, faisait la fierté de ses habitants. Elle remplaçait une prison construite en 1842 dans la même artère et qui avait brûlé. La ville de Bytown, ancien nom d’Ottawa, était assez dangereuse. Alcoolisme, bagarres et prostitution contribuaient à une forte délinquance. Elle ouvrit ses portes en 1862. Elle pouvait héberger 150 détenus, des hommes, des femmes et des enfants, de petits voleurs comme des meurtriers, des prostituées, des alcooliques et des détenus aliénés, comme le notèrent plusieurs rapports d’inspection.

The carleton county gaol. Gravure réalisée dans les années 1870-1880 et conservée dans les fonds photographiques de William James Topley

Il s’agit d’une construction en pierres de trois étages et demi. Sa structure est liée à “l’italianate style”, ce courant néo-classique s’inspirant de la Renaissance italienne et qui connut un certain succès en Amérique du Nord durant la seconde moitié du XIXe siècle. Elle était pourvue de différents types de cellules sur plusieurs niveaux, desservie par trois escaliers, et disposant d’une chapelle.

Façade ouest de la prison d’Ottawa

Le “tout cellulaire”

L’architecte s’est inspiré du modèle philadelphien d’incarcération cellulaire. On distingue soixante petites cellules d’un mètre de largeur sur trois mètres de longueur, cellules dites “cellule tambour”, “drum cell”, trente cellules plus larges, deux mètres sur trois mètres, et six cellules de confinement pourvues d’attaches pour y fixer des chaînes. Elles sont voûtées et munies de barreaux aux portes, ce qui permettait aux surveillants d’observer l’intérieur des cellules. Elles étaient réparties tout au long de corridors. Elles étaient sombres car sans fenêtres. Les croisées n’éclairaient que les corridors. On a pu écrire que l’intérieur de la prison était “straight out of Dickens”.

Corridor. Ce corridor desservait les cellules étroites dites “drum cells”


Corridor. Il dessert les “drum cells”


Intérieur d’une “cellule tambour”

Les cellules les plus petites ne contenaient qu’un lit étroit. Les détenus ne pouvaient pas s’y déplacer et ne disposaient pas de mobilier. Ils n’y passaient que la nuit, vaquant dans les corridors, dans la cour ou dans les ateliers durant la journée. Plusieurs sources mentionnent des suicides nombreux et des mauvais traitements.

Drum cell. Cellule étroite d’un mètre de large


Cellule disciplinaire. Des chaînes entravaient les détenus agités ou ayant commis un forfait dans la prison

Fixation dans une cellule disciplinaire

Photographie de William James Topley (vers 1895)

Les trois pendaisons

Trois exécutions par pendaison eurent lieu dans cette prison. Le 11 février 1869, Patrick J. Whelan, un tailleur, fut pendu devant 5000 spectateurs. Il avait assassiné Thomas d’Arcy McGee, membre du Parlement et un des pères de la Confédération. Certains pensent qu’il était un Fenian, puisque d’origine irlandaise. Ce fut le premier assassinat politique du Canada et la dernière exécution publique. Le corps du supplicié fut enterré dans la cour de la prison. En 1933, le 10 janvier, ce fut au tour de William George Scabrook, pour un meurtre commis lors d’un hold up. En 1946, le 27 mars, Eugène Larmont fut pendu pour avoir tué un policier lors d’un vol. Une “hanging chamber”, dominant une trappe, est située au quatrième étage sur la façade est. Le pendu était visible de la foule massée au delà de la cour de promenade.

La trappe d’où tombaient les pendus

Le lieu des exécutions par pendaison

Les escaliers de la prison

Un des trois escaliers de la prison d’Ottawa. Les marches permettaient d’observer les allers et venues

L’escalier principal de la prison

L’escalier principal de la prison. Ces grilles devaient éviter chutes et suicides


L’auberge de jeunesse “hantée”

La prison fonctionna pendant cent dix ans, jusqu’en 1972. Les conditions d’hygiène n’étaient plus admissibles. L’année suivante, elle fut transformée en auberge de jeunesse, prise en charge par Hostelling International, à partir du 2 août 1973. La prison est classée “monument historique”. Des visites guidées sont quotidiennement organisées et privilégient la dimension hantée de la maison et les fantômes des pendus.

Hostelling international

La visite guidée

La prison cellulaire de Philadelphie

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Une série de photographies réalisées en janvier 2012 par Héloïse et Jean-Claude Vimont. Quelques éléments de référence sur cet établissement qui servit de modèle à de nombreuses constructions à travers le monde et suscita des débats assez vifs sur le bien fondé de l’isolement cellulaire de jour et de nuit.

Notre connaissance de la prison de Cherry-Hill à Philadelphie en Pennsylvanie, également nommée l’Eastern state penitentiary, lieu d’expérimentation de l’enfermement cellulaire de jour et de nuit avec travail obligatoire au sein de la cellule, est liée à la nouvelle publication des écrits pénitentiaires d’Alexis de Tocqueville, chez l’éditeur Gallimard en 1984. Michelle Perrot, en cette occasion, a offert un modèle d’édition critique, avec une introduction fort précieuse pour comprendre les enjeux des débats que suscitaient les modèles américains d’incarcération, le rôle précis et la pensée des deux voyageurs pénitentiaires, Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville. L’appareil de notes, les recherches menées dans les fonds américains, les index ont fait de ces deux volumes des instruments de travail fort appréciés de tous les chercheurs. Un regret cependant : l’absence de tout plan, gravure, dessin pour illustrer ces écrits, alors que les rapports des deux magistrats et parlementaires en comportaient quelques-uns lors des premières publications sous la Monarchie de Juillet [1].

Les premières années de l'Eastern state penitentiary. Un cadre rural, au sommet d'une colline, à deux miles du centre ville

L’Eastern state penitentiary, au 2027 Fairmount avenue, est depuis 1994 un musée, avec ses visites commentées, sa boutique, des plans et des photographies, quelques cellules reconstituées (celle d’Al Capone, par exemple, qui y séjourna huit mois en 1929-1930) ou aménagées par des artistes contemporains, beaucoup d’autres laissées à l’abandon, plus ou moins en ruines, depuis la fermeture de l’établissement en 1971 [2]. Lors de sa construction, la prison se trouvait à deux miles du centre ville, aujourd’hui elle est située dans le downtown de Philadelphie.

Cette contribution n’a donc pour objectif que d’offrir une première vision de cette prison, telle qu’elle peut être photographiée en 2012 par Heloïse et Jean-Claude Vimont, avant la publication prochaine d’une recherche approfondie de Mathilde Fouché, titulaire d’une master patrimoine de l’Université de Rouen sur le thème du « patrimoine carcéral », et qui réside présentement à Philadelphie. Nous offrirons également quelques repères chronologiques sur l’histoire de cette maison qui fonctionna de 1829 à 1971, soit pendant 142 années [3].

SOLITARY or SEPARATE

L’architecte John Haviland (1792-1852), un britannique, remporta le concours qui mettait aux prises quatre architectes dont le renommé William Strickland et la construction dura de 1821 à 1829. Vaste construction, certainement une des plus grandes prisons de l’époque, elle coûta 800 000 dollars. Haviland s’inspirait des réflexions d’un groupe de réformateurs réunis au sein de The Philadelphia Society for alleviating the miseries of public prisons, société fondée en 1787 par Benjamin Rush. En 1790 elle posa les bases de que l’on nomme le système pénitentiaire pennsylvanien : les détenus devaient être séparés les uns des autres et devaient travailler au sein de la prison. Ce groupe de pression détermina la législature pennsylvanienne à lancer la construction d’une prison pour remplacer la maison encombrée de Walnut street, dans un contexte de fort accroissement démographique et de violences urbaines. Dès 1790, on avait expérimenté le “day and night solitary confinement” dans une maison pénitentiaire de seize cellules. La capacité d’accueil était à l’origine de 250 détenus, répartis dans sept blocs. En 1836, la capacité fut portée à 450 places. Elle atteignit 1700 détenus en 1926 après les constructions successives de nouveaux blocs et l’abandon en 1913 de l’isolement cellulaire.

Les sept premiers blocs disposés autour du rond point central par l'architecte Haviland

L’établissement ressemblait à un château médiéval, de style néo-gothique, ce premier “gothic revival” américain qui caractérisa de nombreuses constructions publiques, religieuses et individuelles de ce premier XIXe siècle. Ses murs imposants, ses tours surmontées de créneaux, sa façade percée d’étroites meurtrières devaient inspirer la peur dans le coeur de ceux qui commettaient des crimes, selon l’expression de l’architecte. Installée au sommet d’une colline, elle était visible de loin, au milieu d’un espace encore rural.

Plans, photographies, gravures et maquettes présentent des corridors disposés sur un plan radial, autour d’un point central, et le long desquels furent construites des cellules. À l’occasion d’un voyage pénitentiaire pendant la monarchie de Juillet le magistrat Frédéric-Auguste Demetz, le fondateur de la colonie de Mettray et Abel Blouet, l’architecte qui construisit Mettray, ramenèrent de Philadelphie un rapport sur les pénitenciers américains où le rond-point central et les sept blocs de Cherry-hill figuraient.

Entrée d'un bloc cellulaire

Entrée d'un bloc cellulaire

Disposition des bâtiments

Mur d'enceinte


Entrée de la prison vue de l'intérieur


Les bâtiments de l'administration. Au premier plan la salle des parloirs

Quelques ailes, la septième par exemple, disposent d’un étage comme sur la maquette exposée dans l’entrée du musée. Beaucoup d’autres ne comportent que des cellules de rez-de-chaussée, éclairées depuis la toiture, les fameuses “sky-lit cells”. Les constructions successives – tout au long de son histoire, des blocs supplémentaires furent ajoutés – qui ont densifié l’espace et augmenté la capacité d’accueil gênent la vision des cours de promenoirs individuels, ces petites courettes qu’on peut voir sur la maquette reproduite. Les prisonniers sortaient dans ces préaux pendant une heure chaque jour. Les gardiens modifiaient les horaires afin d’empêcher les communications avec les voisins par dessus les murs.

Durant les premières années de la prison de Cherry-Hill, les détenus étaient encapuchonnés, masqués, encagoulés lors de leurs déplacements, afin de prévenir tout contact avec les autres prisonniers. Cette précaution fut ultérieurement appliquée dans la prison française de Fresnes à la fin du XIXe siècle et aux débuts du XXe siècle. La cagoule de ce dernier établissement fut à l’origine du titre de l’ouvrage de Jeanne Humbert, détenue de Fresnes, qui montra comment les prisonnières parvenaient à communiquer en tirant les fils du tissu [4]. Quelques photographies montrent des prisonniers américains pourvus de ce masque ne disposant que de deux trous pour la vision. Il est indiqué que durant les toutes premières années, les détenus ne voyaient rien, car les masques étaient totalement obturés. A Paris, vers la même époque, l’abbé Crozes, aumônier de la Roquette, imposait des voiles noirs aux jeunes détenus durant les offices.

L’isolement devait favoriser la pénitence, la réhabilitation. Le travail au sein des cellules était également l’un des principes majeurs du système philadelphien. La visite du musée ne permet guère de se faire une idée des travaux accomplis dans ces espaces restreints. Des photographies montrent des hommes employés au rempaillage ou au cannage de chaises. Elles figurent dans le livre de Richard Vaux, Brief Shetch of the origin and the history of the state pénitentiary (Philadelphie, 1872). Dans une lettre à Honoré Langlois du 17 août 1838, Alexis de Tocqueville a vanté les mérites d’un système qui combianit l’isolement et le travail : ” Le système de Phladelphie s’oppose aussi complètement que celui d’Auburn à toutes les communications nocturnes, et il prévient aussi toutes les communications de jour. Non seulement, il empêche les détenus de se parler, mais il les empêche de se voir. Cela seul est très considérable. Il en résulte que quand un homme sort de prison, après quelques années de détention, tous les liens qui pouvaient l’attacher malgré lui au crime sont rompus. Il a perdu de vue ses anciens compagnons, et il n’a fait aucune nouvelle connaissance. Il se trouve donc isolé et impuissant au milieu de la société organisée des honnêtes gens. Dans le système de Philadelphie, la discipline est simple et facile parce qu’elle se sert de murs et non point d’hommes. Un directeur de prison, honnête et intelligent, suffit pour l’introduire et la maintenir dans un vaste édifice. Le détenu, étant isolé, ne saurait jamais opposer résistance ; il est toujours seul contre la société tout entière. De tous les systèmes d’emprisonnement, c’est celui de Philadelphie qui frappe le plus l’imagination des coupables ; ce qui est un grand avantage. On a trop perdu de vue, de nos jours, la nécessité de rendre les prisons intimidantes. Il faut que le détenu n’y souffre pas physiquement, mais il faut aussi qu’il se trouve assez malheureux des suites de son crime pour que la peur l’empêche de violer de nouveau les lois et arrête d’avance ceux qui veulent l’imiter. (…) Ce qui conduit presque tous les hommes au crime, c’est la paresse. Il n’y a guère de vleurs parmi les bons ouvriers : le système de Philadelphie ne force pas seulement au travail, il le rend nécessaire et le fait aimer. L’oisiveté est un si grand mal dans la solitude que les détenus se passeraient plutôt de pain que de travail. [...] À Auburn, on bat les détenus pour les faire travailler ; à Philadelphie, les détenus aimeraient mieux être battus que de rester oisifs. Ils contractent ainsi naturellement l’habitude, le goût et le besoin de l’occupation et l’occupation les détourne du crime.” (cité par Michelle Perrot dans les Écrits pénitententiaires, volume 2).

Mur d'enceinte et tour garnie de créneaux

Tour et mirador


Jusqu’en 1841, les promoteurs du modèle philadélphien le qualifiaient de “Solitary confinement”. Ils préférèrent le qualifier ensuite de “separate confinement”, pour éviter les critiques qui accusaient le modèle de déprimer les prisonniers et de les pousser au suicide. Les mêmes débats eurent leu en France, à la même époque, lors des débats préparatoires à une réforme des prisons. Les détenus étaient visités par les gardiens qui apportaient quotidiennement la nourriture et les matériaux pour le travail, par le prêtre ou le pasteur et des membres des sociétés philanthropiques. Ces idées furent reprises par Alexis de Tocqueville en 1843 et 1844, lorsqu’il était rapporteur du projet de loi sur la réforme es prisons. Michelle Perrot a montré que Tocqueville avait évolué au retour de son voyage américain. D’abord favorable au système d’Auburn (la cellule de nuit et le travail en commun mais en silence de jour), il devint le chantre du système philadelphien, aux côtés de l’inspecteur des prisons Moreau-Christophe. La cellule, prison dans la prison, présentait à ses yeux de multiples avantages, même si son pessimisme le rendait méfiant à l’égard des discours sur la réhabilitation des criminels. La cellule assurait la défense, la sécurité de la société contre les classes dangereuses, les bandes de criminels qui s’étaient connus en prison. Disperser les détenus, éviter qu’ils ne se corrompent, qu’ils ne se livrent “au vice de l’homosexualité” est un moyen de lutter contre le “monde des coquins” Michelle Perrot a cité dans l’introduction aux écrits pénitentiaires, le bilan dressé par Tocqueville à l’issue de la soixantaine d’entretiens qu’il eut avec des détenus de Cherry-Hill : “L’intérieur des cellules de Philadelphie nous a présenté un coup d’oeil absolument nouveau et plein d’intérêt. Le détenu qui y est renfermé jouit en général d’une bonne santé, il est bien vêtu, bien nourri, bien couché, il trouve à sa portée des biens physiques qu’il n’a jamais rencontrés dans le monde, il se plaît à le reconnaître lui-même. Et cependant il est profondément malheureux ; le châtiment tout intellectuel qui lui est infligé, jette au fond de son âmes une terreur plus profonde que les chaînes et les coups. N’est-ce point ainsi qu’une société éclairée et humaine doit vouloir punir ? Ici la peine est à la fois la plus douce et la plus terrible qui ait été inventée. Elle ne s’adresse qu’à l’esprit de l’homme mais elle exerce sur lui une incroyable emprise.” ( novembre 1831, lettre au ministre de l’Intérieur). La “défense sociale” exigeait la répression et la punition. Charles Dickens visita le pénitencier en 1842 et émit une appréciation toute autre et fort négative : ” Nothing wholesome or good has ever had its growth in such unnatural solitude…there is surely more than sufficient reason for abandoning a mode of punishment attended by so little hope ou promise, and fraught, beyond dispute, with such a host of evils“. Dickens, Gaétan de Larochefoucauld-Liancourt, le docteur Artus Barthélémy Vingtrinier bataillèrent pour résister à l’engouement des élites pour ce système d’emprisonnement rigoureux. Derniers philanthropes, ils furent emportés par les peurs sociales et politiques de leur temps.

A "lit-sky cell"

A "lit-sky cell"


Miroirs pour contrôler les allers et venues des détenus

Un bloc cellulaire


Porte d'une cellule

Entrée d'une cellule


L’IMPOSSIBLE SEPARATION

Au quotidien, le régime cellulaire ne fut qu’imparfaitement appliqué. Et ceci, dès les premières années de fonctionnement. Des détenus furent employés hors de leurs cellules, pour les constructions successives, à la cuisine ou à l’infirmerie, dans des emplois de service auprès de l’administration de l’établissement.

À la fin des années 1860, le régime de séparation n’était plus guère appliqué, malgré la volonté des administrateurs de le maintenir. Aux lendemains de la guerre de Sécession, troubles, désordres et augmentation de la criminalité provoquèrent un accroissement de la population carcérale et un allongement des peines. Dès 1866, les prisonniers étaient plus nombreux que le nombre de cellules. En 1872, ils étaient 596 pour 550 cellules. La grande dépression qui débuta en 1873 accrut la misère, la délinquance et le nombre des détenus. Des femmes furent emprisonnées à Cherry Hill de 1831 à 1923.

Cellule double

À la fin du siècle, moins de la moitié des détenus étaient séparés. On abandonna progressivement l’expression ” separate system” pour la plus commode “individual treatment”. La naissance de la criminologie en Europe, l’intérêt pour la personnalité du criminel incitaient à l’individualisation des peines. Les administrateurs de l’établissement manifestèrent des réticences à l’égard de ces nouvelles avancées scientifiques, mais ils mesuraient l’impossibilité de poursuivre l’expérience de l’isolement cellulaire.

Les détenus vécurent à deux ou trois par cellule. Quelques pièces plus grandes en accueillaient quatre ou cinq. Ils y travaillaient en commun ou dans des ateliers qui furent aménagés. En 1913, la législature de Pennsylvanie abolit officiellement le “separate confinement”, mais depuis plusieurs années ce n’était plus qu’une fiction. Les principes fondateurs furent totalement abandonnés au vingtième siècle. L’isolement cellulaire devint une mesure disciplinaire, sans aucune prétention de réhabilitation ou de relèvement. Les constructions successives interdisaient toute surveillance depuis le rond point central [5]. Des ateliers et des salles de cours regroupaient les prisonniers. En 1880, les cellules du troisième bloc furent transformées en un hôpital muni de dortoirs et d’une salle d’opération. Les détenus cessèrent de prendre leurs repas dans les cellules et des réfectoires furent aménagés dans les blocs quatre et cinq. Des terrains de base-ball et de basket-ball furent aménagés. Plusieurs journaux de détention furent publiés, dont le Eastern Echo, dans les années soixante. Des festivités étaient organisées pour Noël, des concerts et des matchs de boxe eurent lieu dans la prison. Le “congregate system” avait supplanté le modèle philadelphien.

Jean-Claude VIMONT (Photographies d’Héloïse Vimont et Jean-Claude Vimont)


DOCUMENTS ANNEXES

Un détenu pendant les années trente

Une femme de chambre condamnée à une année de prison

Porte d'une cellule

Fiche d'une détenue

Reconstitution de la cellule d'Al Capone (1929-1930)

Grille d'une cellule

Vestiaire

A "sky-lit cell"

A "sky-lit cell"

Charpente des blocs cellulaires


[1] Alexis de Tocqueville, Oeuvres complètes, Tome IV, Écrits sur le système pénitentiaire en France et à l’étranger, Deux volumes établis par Michelle Perrot, Paris, Gallimard, 1984.

[2] Le site officiel du musée comporte des notices historiques et des séries photographiques de qualité.

[3] Voir l’ouvrage très bien illustré de Francis X. Dolan, Images of America, Eastern state penitentiary, Charleston, Arcadia publishing, 2007.

[4] Jeanne Humbert, Sous la cagoule. Fresnes, prison modèle, Paris, 1933.

[5] Sur le pénitencier au XXe siècle, on peut consulter Paul Kahan, Eastern state penitentiary, a history, Charleston, History press, 2008, 126 p.

Le terme “prison” au XIXe siècle : étude lexicographique et diachronique

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Audrey Higelin

Le Grhis-Justice de l’université de Rouen accueille bien volontiers cette contribution d’Audrey Higelin qui participera au séminaire de l’ANR “sciencepeine” le 29 février 2012 à Rouen. Cette contribution est à mettre en lien avec un article intitulé “Étude lexicographique diachronique du terme « prison » au XIXe siècle : de la difficulté d’associer signifiant et signifié aux premiers jours de la prison pénale“, qui va être publié dans la Revue Frontenac , dépendant du Département d’Études françaises de la Queen’s University à Kingston, dans l’Ontario (Canada). Elle fait suite au Colloque international Entre mémoire et histoire, qui s’est tenu à la Queen’s University, en octobre 2008. Audrey Higelin [1] est docteur en histoire de l’art. Elle a soutenu en 2011 sa thèse intitulée « La prison pénale de 1791 à 1848 : élaborer l’espace de la réclusion » sous la direction du Professeur Laurent Baridon, à l’Université de Grenoble. Audrey Higelin partage actuellement son temps entre l’enseignement secondaire et supérieur, la recherche, et le journalisme.

L’étude du fait carcéral présente un certain nombre de difficultés inhérentes même à la compréhension et à l’interprétation des sources. Plusieurs types de document sont à consulter, puis à confronter. Les sources directes (archives nationales et parlementaires, qui donnent accès aux lois et décrets ; témoignages de détenus, mémoires du personnel administratif…) sont à associer à des sources indirectes non moins intéressantes, que l’on puise dans la littérature philosophique, romanesque ou spécialisée. Le terme « prison » y est l’objet d’une polysémie peu commune. Non seulement il revêt plusieurs sens précis à la même époque, mais il peut adopter des acceptions contradictoires si on le considère de manière diachronique. Cette polysémie se trouve être aussi formelle, dans la mesure où, si l’on assimile la « prison » au sens large à un endroit où l’on pratique l’enfermement, plus ou moins modulé en termes de pénibilité, plusieurs établissements peuvent être considérés. Le chercheur doit alors circonscrire rigoureusement son domaine d’étude, et quel qu’il soit, comprendre et dissocier les différentes acceptions du terme générique « prison » à travers le temps.

Évolution encyclopédique du terme « prison »

Le terme prison proviendrait du latin populaire prensio –onis, lui-même découlant de la forme littéraire prehensio, –onis, du verbe prehendere, qui signifie « prendre ». Nous retrouvons directement ce sens étymologique dans la peine de prise de corps, sous l’Ancien Régime. Le Grand Robert de la langue française admet aujourd’hui comme première acception la définition générique d’ « établissement, local clos aménagé pour recevoir des délinquants condamnés à une peine privative de liberté ou des prévenus en instance de jugement », pour ensuite proposer des renvois analogiques vers les termes chartres, geôles, bagnes, ou encore centrales en spécifiant parfois la nuance qui ne permet pas à ces termes d’être exactement synonymes. Nous constatons ainsi que même au XXe siècle, le terme « prison » continue d’être un terme tiroir, englobant une multitude de réalités que le droit et l’histoire s’attellent à détailler.

La prison Saint-Lazare tant vantée par les philanthropes de la Restauration. Élévation et coupe par Baltard en 1824

Dès lors que l’on souhaite étudier le fait carcéral, qu’il s’agisse de droit, de sociologie, d’histoire ou d’architecture, les recherches heuristiques confrontent le chercheur à des difficultés lexicales à l’origine de confusions dans l’interprétation des sources. Il existe, si l’on schématise, quatre grandes périodes du carcéral aux XVIIIe et XIXe siècles : la première, véritablement philosophique, qui agite les philosophes des Lumières autour de la question de la peine, puis les hygiénistes, publicistes et juristes concernés par des préoccupations philanthropiques, s’étend du premier tiers du XVIIIe siècle à 1791. La seconde commence cette même année, au moment de la promulgation de la première Constitution, qui, prenant acte des réflexions passées, refond le système pénal dans le premier Code, et instaure la peine privative de liberté (peine qui n’existait pas pendant l’Ancien Régime, contrairement à ce que la présence matérielle de lieux privatifs de liberté pouvait laisser penser). Il est difficile cependant de déterminer pour cette phase de mise en œuvre et de réflexions intenses et contradictoires une borne limitative, car, quand bien même la troisième phase, celle de l’essor de l’architecture carcérale à proprement parler, débute sous la Monarchie de Juillet, les débats philosophico-juridiques autour des différents régimes d’emprisonnement n’ont jamais véritablement cessé jusqu’au début d’un XXe siècle trop préoccupé par ses guerres fratricides pour persister dans des questions de méthode. L’année 1852 marque enfin un dernier virage dans l’évolution du fait carcéral pour la période qui nous concerne, avec le recours aux déportations et transportations outre-mer.

Durant les deux siècles qui nous préoccupent, on ne cesse alors de parler de prison. Mais nous constatons que ce qui rend l’étude du fait carcéral ardue provient principalement d’un souci linguistique. Le signifiant « prison » recouvre en effet une multitude de signifiés, que ce soit dans l’esprit, dans le texte, ou dans la lettre. L’objet de la recherche est de cerner le sens d’un terme en même temps que sa réalité matérielle tout en comprenant son évolution dans l’histoire. Nous avons ainsi choisi d’opérer une sélection parmi les dictionnaires et encyclopédies ayant fait date aux XVIIIe et XIXe siècles, allant de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert jusqu’au Littré (édition de 1880), en passant par le Dictionnaire de l’Académie Française (en différentes éditions), l’Encyclopédie Méthodique de Quatremère de Quincy, ou encore le Dictionnaire raisonné de l’architecture française de Viollet-le-Duc, afin d’étudier l’évolution du fait linguistique.

L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1751-1772) propose une définition très complète du terme, détaillant la généalogie du lieu d’enfermement depuis ses premières occurrences textuelles, provenant de la Bible. Une mention est faite de l’enfermement ecclésiastique, l’idée de pénitence induite par le procédé d’exclusion sociale fera d’ailleurs florès dans les débats un siècle après la publication de l’Encyclopédie. Les prisons séculières sont précisément dissociées, aussi peut-on lire : “Parmi les prisons séculières on peut en distinguer de plusieurs sortes. Celles qui sont destinées à renfermer les gens arrêtés pour dettes […] ; celles où l’on tient les malfaiteurs atteints de crimes de vol et d’assassinat, […] ; les prisons d’État ; les prisons perpétuelles […] ; et enfin les maisons de force. […] Il y a trois sortes de prisons ; savoir les prisons royales, celles des seigneurs, et les prisons des officialités.” (Diderot, d’Alembert, t. 13, 386)

Telle que nous les présentent Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, les prisons semblent être des endroits organisés et hiérarchisés en fonction des délits. Nous démontrerons plus loin qu’il s’agit là d’une théorie, et que dans la réalité il n’en est rien. Le Dictionnaire de l’Académie Française, édition de 1762, propose quant à lui une définition laconique et générique du terme « prison », mais se montre plus disert concernant les termes « bagne » et « galère ». La césure de la Révolution française n’est pas encore opérée ni dans les esprits, ni dans les faits, et les définitions qui nous sont données de la prison ne peuvent donc être plus précises. On constate d’ailleurs que les définitions des éditions de 1792 et 1798 n’ont pas changé d’un iota. Dans les dictionnaires de l’Ancien Régime, le terme « Bastille » est toujours défini de manière architecturale comme un château, sa fonction de prison d’État par excellence n’étant mentionnée qu’en seconde analyse. Il est en outre assez étonnant de constater que la sixième édition du Dictionnaire de l’Académie française (1832-1835), pourtant publiée sous la Monarchie de Juillet, période d’essor s’il en est de la réforme du système carcéral, persiste dans la même définition évasive du terme « prison » que les éditions de l’Ancien Régime : « Lieu ou l’on enferme les accusés, les criminels, les débiteurs… » (Académie Française Dictionnaire 1832-1835, 505). De même, alors que la distinction entre les maisons d’arrêt, de force, et de détention est bien établie dans les textes juridiques, dans les esprits, et commence à l’être aussi dans la pierre, ces trois termes sont associés sous l’entrée « maison », et définis comme suit : « Lieux légalement et publiquement désignés pour recevoir ceux qu’on vient d’arrêter, ou ceux qui ont été condamnés à la détention. » (Académie Française, Dictionnaire 1832-1835, 149)

Plans des prisons d'Aix par Nicolas Ledoux

Les dictionnaires architecturaux, comme ceux d’ Antoine Quatremère de Quincy et d’Eugène Viollet-le-Duc, ont bâti leur définition du terme prison autour de préoccupations architecturales. Néanmoins, force est d’admettre qu’ils demeurent parmi les plus précis concernant l’institution carcérale au XIXe siècle. A. Quatremère de Quincy propose d’ « indiquer par quelques notions générales, les diverses manières de pratiquer les prisons, selon la variété de leur destination. » (Quatremère de Quincy 212). La définition du concept, parce qu’elle est essentiellement pratique, est au plus près de la réalité des établissements privatifs de liberté en France. E. Viollet-le Duc se lance quant à lui dans une genèse formelle de l’édifice prison, qui est elle aussi très précise et dans sa vision rétrospective de l’histoire de l’institution carcérale en France, et dans son tableau du paysage carcéral contemporain.

Entre terminologie confuse et réalité historique

Etablir un parallèle évident entre la réalité de la prison et les différentes acceptions du terme n’est pas aisé, si l’on s’en remet aux seules sources lexicographiques. Les dictionnaires d’architecture, comme nous venons de le souligner, ont le primat du réalisme par leur caractère descriptif, voire prescriptif. Nous y reviendrons.

Si l’on se réfère à la définition de l’Encyclopédie, les prisons sont des lieux relativement pensés et adaptés à une pénalité préexistante. Or l’étude de l’histoire du fait carcéral démontre qu’il s’agit là de la théorie, et non de la pratique. Les prisons de l’Ancien Régime (à l’image de la Bastille, définie comme un château fort, mais principalement employée comme prison d’État), ne sont pas pensées pour être des lieux de peine. Comme le souligne l’ordonnance de 1670, en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il n’existe pas à proprement parler de peine de prison. Dans les « prisons » de l’Ancien Régime, plusieurs types de détenus croupissent : au criminel, les accusés en attente de jugement, au civil, les prisonniers pour dettes. À cela s’ajoute le lot indifférencié des incarcérés pour diverses raisons connexes. Les lieux d’enfermement ne manquent alors pas : les bagnes le disputent à l’hôpital général, aux dépôts de mendicité, aux prisons d’Etat, maisons de force et de correction. Dans ces endroits, qui n’ont pas tous leur entrée dans les dictionnaires tant leur réalité est confuse, le mélange des genres s’étend jusqu’aux détenus : les prisonniers de guerre côtoient des infirmes, des galeux, ou encore des libertins. Les prisons proprement dites se classent en effet en plusieurs catégories : prisons du Roi, des seigneurs, des officialités et de la Ferme générale. Les prisons seigneuriales existeront encore jusqu’en 1789, mais sont en décadence à cause de la montée du pouvoir royal. Comme le souligne Necker , les prisons des villes ou des campagnes sont insalubres. Les prisonniers sont « cette partie des sujets du Roi la plus malheureuse et la plus oubliée. » (Déclaration de 1784, citée dans Desjardins, Les Cahiers des États Généraux, 459). Il existe en outre la même confusion des genres chez les détenus des prisons que dans les bagnes et les maisons de force.

Jacques-Guy Petit nous décrit la prison d’Aurillac en 1791 : ” […] une seule loge pour tous les prisonniers pour crime avec un peu de paille sur des cailloux ; une loge semblable pour les femmes, juxtaposée et sans véritable séparation ; quatre cachots souterrains et obscurs ; des basses-fosses malsaines où des prisonniers croupissent dans l’infection ; une cour très réduite où ils peuvent parfois se promener. (cité dans Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures, la prison pénale en France, p. 21) Ainsi quel que soit le lieu de détention, on n’y purge pas de peine, et les magistrats ne se préoccupent pas de l’amendement du prisonnier. La prison du XVIIIe siècle n’est dans les faits qu’une sorte de maison d’arrêt qui comporte dans certains de ses avatars (galère ou bagne) l’aspect pénitentiaire sur lequel insisteront les réformateurs au moment de la Révolution française.

Avec la naissance de la prison pénale, le XIXe siècle redéfinira le concept, et donnera forme à l’institution, au sens propre comme au figuré. La société du XVIIIe siècle préfère le caractère ostensiblement exemplaire du châtiment à celui, moins public, de l’enfermement. Aussi, bien que le Siècle des Lumières ait été riche en réflexions autour des délits et des peines, le siècle du carcéral est véritablement le XIXe. D’un point de vue lexical, les textes des Lumières emploient indifféremment les termes de « détention », d’« emprisonnement » ou de « prison ». Il faudra chercher chez les Constituants d’abord, puis chez les juristes, publicistes et autres hygiénistes du XIXe siècle plus de précision dans la définition du concept. En effet, les Constituants se substituent aux Encyclopédistes pour définir le rôle des différentes prisons. Dès 1791, ils précisent dans les lois et les décrets le rôle des maisons d’arrêt et de justice, et affirment que seules peuvent être appelées « prisons » les lieux ou les citoyens déjà jugés subissent leur condamnation. Cette refonte du système pénal n’est pas prise en compte par l’édition de 1798 du Dictionnaire de l’Académie, et n’est que rapidement mentionnée dans l’édition de 1832-1835. Un certain nombre de questions peuvent surgir de ce constat. La loi précède-t-elle la lettre ? Les réformes successives du système pénal depuis la Constituante désintéressent-elles l’intelligentsia littéraire ? La lecture attentive des romans et feuilletons de Victor Hugo ou encore Eugène Sue, dont nous parlerons plus loin, viennent répondre par la négative. L’Encyclopédie méthodique d’A. Quatremère de Quincy, nous met sur la voie d’une réponse. Rédigé en 1820, l’article « prison », avant de se montrer prescripteur, fait un rapide état des lieux : ” Jusqu’ici, généralement, il a été construit fort peu d’édifices, destinés à être spécialement et exclusivement des prisons. Tant qu’on ne vit dans une prison un local propre à séquestrer les individus, sans distinction des causes de détention, du genre des délits, de la nature des reclus, beaucoup de bâtiments tout faits, quoique pour d’autres usages, durent paraître tout propres à leur nouvelle destination. Ainsi, une multitude de constructions élevées dans le Moyen-âge, beaucoup de vieux châteaux, de forteresses désormais inutiles à la guerre, furent et devinrent des prisons toutes faites.” (Quatremère de Quincy 212) Nous apprenons ainsi que la nouvelle loi issue de la Constituante n’a eu qu’une validité relative dans les faits. Pour moduler les peines, distinguer les détenus par catégories, et leur réserver un traitement humain, il fallait que l’État se dote de bâtiments idoines, qui devaient alors être édifiés. Mais rien ne fut fait pendant fort longtemps à cause de la combinaison de plusieurs réalités : l’instabilité des régimes en place, le réemploi des bâtiments nationaux, les refontes successives du Code Pénal, l’état des finances en France ainsi que la perpétuité des débats autour des régimes d’incarcération au sein même de l’Assemblée Législative. Aussi, dans l’esprit de la population comme dans celui du littérateur, la « prison » restait-elle un concept confus à la définition protéiforme et en perpétuel mouvement.

Projet de l'architecte normand Harou-Romain fils pour une prison semi-circulaire de 46 cellules. Extrait du recueil de plans collectés par le ministre de l'Intérieur lors des débats parlementaires de la Monarchie de Juillet sur la réforme des prisons

Du langage « sur » la prison, au langage « de » la prison

Les écrivains du XIXe siècle se montrent très diserts au sujet du fantasme carcéral, mais les détenus, principaux intéressés, ont laissé peu de traces exploitables en termes de sources ou de témoignages publiés. Il y a ici un nouveau hiatus à soulever, qui consisterait à mesurer la distance qui existe entre la prison telle qu’elle est mise en mot, « romancée », « fantasmée » par la littérature, et telle que la subit le détenu. La prison « imaginée » est en effet plus présente dans les sources que la prison « vécue », tout du moins jusqu’aux premiers effets des progrès éducatifs de la IIIe République. Nous disposons donc de peu de témoignages concernant les prisons, particulièrement les prisons centrales, organes de gestion des classes pauvres – donc illettrées –, et dont le régime du silence couramment pratiqué à partir de 1839 et les nombreuses privations ont un effet débilitant sur le corps et l’esprit. Notons que la lecture n’a elle aussi que peu de place dans le quotidien des détenus, qui, lorsqu’ils savent lire, sont néanmoins friands des ouvrages de Walter Scott et Alexandre Dumas, comme nous l’apprennent H. Joly et E. Laurent. Si l’on excepte l’impossibilité pratique qu’ont les détenus à prendre la plume, il faut aussi insister sur le silence contraint, par intérêt et/ou nécessité de réinsertion. Hormis de notables exceptions dont font partie les prisonniers politiques, dont l’incarcération n’est pas socialement infâmante, nul n’a intérêt à faire de la publicité autour de son vécu de détenu au sein de la société qu’il réintègre. La peine de prison, contrairement aux peines de l’Ancien Régime, ne laisse pas systématiquement de traces visibles (même s’il subsiste encore au long des XVIIIe et XIXe siècles certains cas de marquages au corps préalables ou coexistant à la privation de liberté ; la marque ne fut supprimée qu’en 1832), aussi est-il possible pour l’ancien détenu de taire cette partie de sa vie.

Dans l’ensemble, la réalité carcérale reste donc passée sous silence. Cet état de fait donne toute son importance aux quelques expériences de prisonniers de droit commun qui nous ont été transmises : Hippolyte Raynal, dans Sous les verrous, dresse en 1836 un tableau réaliste des prisons de la Restauration. Le témoignage est précis, descriptif, et peut être établi comme source relativement objective. Ce qui est moins le cas des Mémoires de Pierre Lacenaire, Marie Capelle ou encore Eugène-François Vidocq. Le premier propose en effet des poèmes qui parlent moins de prisons qu’ils ne racontent la vie aventureuse et criminelle du détenu ; la seconde écrit pour clamer son innocence. Le troisième, enfin, est tombé dans le discrédit chez les historiens de par son statut même et le fait qu’il ait employé un certain nombre de petites mains pour rédiger ses propres mémoires. Un auteur anonyme propose un fort intéressant ouvrage : le Dictionnaire de l’argot moderne, en 1844. Ce dernier propose un aperçu physiologique des prisons de Paris, décrivant avec authenticité et sobriété les souffrances quotidiennes des détenus pauvres – la grande majorité.

Les livres des prisonniers politiques, comme nous l’avons laissé entendre plus haut, sont à prendre avec plus de précautions encore que les récits des prisonniers de droit commun. Les conditions d’incarcération ne sont pas les mêmes, le caractère infâmant de la peine non plus. En outre, les prisonniers politiques sont souvent des lettrés qui ont le sens du romanesque et feront de leur récit de prison l’étendard de leurs convictions dès leur sortie de prison. Il est néanmoins certaines occurrences alliant précision descriptive et objectivité, tant que faire se peut : P. Joigneau, dans L’intérieur des prisons par un détenu, propose en 1846 un tableau assez réaliste des conditions de promiscuité et de salubrité des prisons de la première moitié du XIXe siècle. Quelques autres auteurs contemporains de l’époque traitée, qui n’ont pourtant pas vécu l’expérience de l’incarcération, donnent néanmoins des informations riches et exemptes de la volonté de plaire au pouvoir. Notons J.F.T. Ginouvier, qui publie son Tableau des prisons en 1824, Anatole Corne, qui propose l’étude Prisons et détenus en 1869, ou encore Michel-Auguste Peigné et son ouvrage Trois existences ou la maison centrale en 1837. Ces ouvrages de témoignage ne nous informent pas à proprement parler de l’évolution du terme « prison » dans le temps, mais nous permettent d’en cerner l’acception du point de vue du détenu, et de prendre la mesure de la distance qui la sépare de la définition que peuvent avoir et les tenants du pouvoir d’un même terme. La différence de point de vue induit ici une polysémie involontaire.

De même, les poèmes de détenus qui nous sont parvenus mettent-ils à jour toute la portée métaphorique du terme. Après 1850, plusieurs chansons circulent à Mazas ou dans des prisons centrales. Le Chant de Mazas, (cité dans Laurent, Les Habitués des prisons de Paris) compare la prison cellulaire à une « cage », et la cellule à un « cloître ». Cette dernière association est d’ailleurs involontairement conforme à l’inspiration monastique du système pénal cellulaire. Et toi Latude, type de bonne gens, Si tu voyais cette nouvelle cage, Tu ne pourrais y faire tes trente-cinq ans, Tu serais fou avant six mois de gage. Tu ne pourrais y élever des rats Car pas un ne reste au vestibule Papa Mazas un cloître fit d’elle En inventant pour nous la cellule. (cité dans Laurent)

Dès les années 1830, pour les observateurs de la prison comme pour les romanciers, l’argot constitue la langue spécifique des détenus. De langage des prisonniers, elle devient la langue coutumière pour parler de la prison. Ce sont des romanciers comme Victor Hugo, Honoré de Balzac, ou encore Eugène Sue, qui ont diffusé ce métalangage par le biais de leurs écrits. C’est d’ailleurs Eugène Sue qui inspira le dictionnaire d’argot que nous avons mentionné plus haut. L’auteur y explique son intention : ” Il est un langage rempli de figures pittoresques, un langage énergique, sauvage et imaginé, un langage qui sue le sang et le meurtre : ce langage, on le parle à nos côtés et nous ne le comprenons pas. Riches, peut-être que l’homme qui vous coudoie forme le dessein de vous dévaliser. Sûr de ne pas être compris de vous, il parle librement à vos côtés du sort qu’il vous destine. Rien ne peut vous sauver que la connaissance de ce langage affreux qui lie entre eux les voleurs et les assassins“. (Anonyme, Dictionnaire de l’argot moderne)

La microsociété abritée par la prison, devenue ville dans la ville avec l’éclosion des centrales, est vraisemblablement stigmatisée jusque dans le plus important vecteur de communication interpersonnelle, à savoir le langage. Mais il ne faut pas occulter le fait que l’argot est davantage la langue du fantasme de la prison, plutôt que celle de la prison elle-même. Les romanciers se sont en effet inspirés des mémoires de Vidocq et ses nègres pour construire l’argot de leurs romans, et l’on sait que Vidocq romance plus qu’il ne décrit. Si l’on souhaite se pencher sur la langue effectivement parlée en prison, le Dictionnaire des mots les plus usités en prison, de Joigneau, datant de 1846, est un outil qui allie réalisme et fiabilité, et ne se cantonne pas à l’étude d’un argot que l’on serait tenté d’appeler « littéraire ». Ainsi apprend-on avec Joigneau que le « surineur » (assassin) a été arrêté par la « camarde » (police) ou les « cognes » (gendarmes). Il va donc « au plan » (en prison), au « bord de l’eau » (dans une galère), ou « au pré » (dans un bagne), pire encore, à « l’abbaye du monte-à-regret » (l’échafaud). Notons enfin que le terme « prison », lorsqu’il est utilisé, revêt pour le détenu un sens générique. Il n’apparaît en effet que très rarement une distinction entre les différents types de lieux privatifs de liberté (maison d’arrêt, de justice, prison pénale…), exception faite des maisons centrales, appelées simplement « centrales ». La prison revêt pour le détenu le sens élargi de tout lieu susceptible de l’enfermer.

Comme nous l’avons démontré, le terme « prison » comporte plusieurs acceptions, qu’une étude strictement lexicale ne permet pas de distinguer. Outre l’étude du fait linguistique, pour comprendre l’évolution du fait carcéral, il faut conjointement étudier l’histoire des idées et celle des formes, et sans cesse confronter ses sources les unes aux autres. En effet, si la terminologie des lieux d’enfermement est confuse, leur réalité historique, juridique et proprement matérielle l’est tout autant du lendemain de la Révolution Française au début du XXe siècle. L’« histoire » de la prison est ontologiquement pluridisciplinaire. Le peu de témoignages de détenus que l’on possède nous laisse en outre déplorer le fait qu’il n’y ait pas à proprement parler de « mémoire » de la prison, si ce n’est celle que nous transmet la littérature, de manière plus métaphorique que testimoniale.

BIBLIOGRAPHIE

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Académie Française, Dictionnaire de l’Académie française, 4ème éd., Paris, Ve de Bernard Brunet, 1762, 2 vol.

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Anonyme, Dictionnaire de l’argot moderne ; ouvrage indispensable pour l’intelligence des Mystères de Paris, de M. Eugène Sue, Paris, Worms, 1843

De Balzac, Honoré, Splendeurs et Misères des courtisanes, partie IV : La Dernière Incarnation de Vautrin [1838-1847], édition de Pierre Barbéris, Paris, Gallimard, 1999

Capelle, Marie, Mémoires de Marie Capelle, veuve Lafarge, écrits par elle-même, Bruxelles, A. Jamar, 1841

Corne, Anatole, Prisons et détenus, Douai, Imprimerie de Duthilleul et Laigle, 1869

Desjardins, Albert, Les Cahiers des États Généraux en 1789 et la législation criminelle, Paris, A. Durand et Pedone-Laurel, 1883

Diderot, Denis et d’Alembert, Jean-le-Rond (dir.), L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Paris, Briasson-David-Le Breton-Durand, 1751-1772, 17 vol.

Ginouvier, J.F.T., Tableau de l’intérieur des prisons de France ou Études sur la situation et les souffrances morales et physiques de toutes les classes de prisonniers ou détenus, Paris, Baudoin Frères, 1824

Guimier-Mayenc, Marthe, Prison-vécue, Prisons imaginées au xixe siècle, Grenoble, Thèse de littérature contemporaine, 1989, 2 vol.

Hugo, Victor, Le Dernier Jour d’un condamné [1829], édition présentée, établie et commentée par Roger Borderie, Paris, Gallimard, 2000

Joigneau, Pierre, L’Intérieur des prisons, réforme pénitentiaire, système cellulaire, emprisonnement commun ; suivis d’un dictionnaire renfermant les mots les plus usités dans le langage des prisons. Par un détenu, Paris, Jules Labitte, 1846

Joly, Henri, « Les lectures dans les prisons de la Seine », Archives de l’anthropologie criminelle, t. III, 1888

Lacenaire, Pierre-François, Mémoires [1836], Paris, éd. du Boucher, 2002

Laurent, Émile, Les Habitués des prisons de Paris, Lyon, Storck, 1890

Littré, Émile, Dictionnaire de la langue française, Paris, Hachette, 1872-1874, 4 vol.

Peigné, Michel-Auguste, Trois existences ou La Maison centrale, Paris, Pesron, 1837

Petit, Jacques-Guy, Ces peines obscures. La prison pénale en France, 1780-1875, Paris, Fayard, 1990

Quatremère de Quincy, Antoine, Encyclopédie méthodique : architecture, Paris, Panckoucke, 1788-1825, 3 vol.

Raynal, Hyppolite, Sous les verrous, Paris, A. Dupont, 1836

Rey, Alain (dir.), Le Grand Robert de la langue française, Paris, Robert, 2001, 6 vol.

Sue, Eugène, Les Mystères de Paris [1842], Paris, Gallimard, 2009

Vidocq, Eugène-François, Mémoires de Vidocq, chef de la police de sûreté, jusqu’en 1827, Paris, Tenon, 1828, 2 vol.

Viollet-le-Duc, Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française, Paris, A. Morel, 1867-1870, 10 vol.


[1] Articles scientifiques d’Audrey Higelin

Claude Nicolas Ledoux et l’utopie pénitentiaire, Colloque international « Ledoux, l’Utopie, la Ville », Université de Besançon, octobre 2006. Publié dans : “Autour de Ledoux : architecture, ville et Utopie” dirigé par Gérard Chouquer et Jean-Claude Daumas, Cahiers de la MSHE Ledoux, Besançon, 2008

Le phénomène carcéral au 19e siècle : quand la « prison rêvée » des écrivains trouve ses limites dans la réalité historique ; Colloque international, Brown University, Providence, USA, mars 2009 Publication numérique :

http://www.brown.edu/Research/Equinoxes/journal/Issue%2012/eqx12_Higelin-Fuste.html

L’espace social et sa perception par l’homme : l’exemple de la prison, colloque interdisciplinaire « Repères et Espace », Université de Grenoble, France, Avril 2009, publié aux Presses Universitaires de Grenoble, Novembre 2010.

Colloques, tables rondes et séminaires :

Les débuts de la prison pénale comme peine substitutive aux châtiments corporels au XIXè siècle en France : des peines plus « humaines » ?, Colloque Celebrating France, Fitzwilliam College, Cambridge, 14-15 juillet 2011. (communication)

« Image de la prison et réalité architecturale : la photographie comme trahison de l’histoire du bâti ». Journée des doctorants du LARHRA (Lyon II), 28 mars 2011, organisée par les doctorants du laboratoire de manière collégiale, sur le thème « Image et histoire ». (communication)

« Du châtiment corporel aux débuts de l’enfermement : le « corps du supplicié » au XVIIIe siècle » ; Colloque interdisciplinaire des jeunes chercheurs en études sur les 17e et 18e siècles intitulé « Le corps dans l’histoire et l’histoire des corps », Université de Montréal, Canada, mars 2009 (Poster)

« La prison, objet d’étude au croisement des épistémologies ». Journée des doctorants de l’équipe Art, Imaginaire, Société du LARHRA (Lyon II), 15 mai 2008, organisée par le Professeur Laurent Baridon, sur le thème « Questions méthodologiques ». (communication)

La cellule ou le dortoir, la fermeture de la maison d’arrêt du Havre (avril 2010)

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 Jean-Claude Vimont

Début avril 2010, les détenus de la maison d’arrêt et de correction du Havre, sise à proximité de la gare, au 25 de la rue Lesueur dans le quartier Danton, ont été transférés dans le centre pénitentiaire construit sur les communes de Saint-Aubin-Routot et Gainneville, à 15 kilomètres du centre ville. Environ 200 prisonniers de la vieille prison ont rejoint ce nouvel établissement de 690 places, avec un effectif de 300 agents de l’administration pénitentiaire. Les plans de modernisation du parc carcéral induisent des changements d’échelle, de localisation mais aussi une amélioration des conditions de détention puisque le nouveau centre pénitentiaire sera majoritairement composé de cellules individuelles, avec des sanitaires dignes de ce nom. La décision de la construction remonte à 2003. Dans plusieurs villes de France des prisons pluriséculaires ferment en ces années 2009-2010, à Toulouse, à Lyon, à Alençon, à Rennes pour laisser la place à une nouvelle génération d’établissements. Le paysage pénitentiaire français bascule dans une modernité qui n’est pas sans effrayer personnels et détenus qui appréciaient certains aspects des vieux établissements : le contact plus aisé avec les détenus et entre détenus, l’ambiance quasiment familiale de plusieurs de ces maisons aux effectifs réduits, une certaine humanité malgré de nombreux dysfonctionnements matériels. La fermeture de la prison du Havre est l’occasion d’illustrer, une fois encore, les ambiguïtés des politiques architecturales et pénitentiaires françaises durant plus de deux siècles.

Le “commun” et/ou le “cellulaire”

La maison d’arrêt du Havre offrait cette particularité de disposer à la fois de dortoirs (trois ayant conservé cette destination jusqu’en avril 2010, les autres ayant été transformés en bibliothèque, salle polyvalente, atelier informatique) et de cellules. Cet aspect composite est une parfaite illustration des politiques architecturales successives des gouvernements français au cours des deux derniers siècles. Les dortoirs sont regroupés dans une aile baptisée “communs” et dont le pignon donne sur la rue Michelet.

Les cellules sont réparties sur quatre niveaux dans le bâtiment, dit “cellulaire” qui domine la rue Duroc et la place Danton, au nord de la prison. Mais la disposition actuelle des bâtiments est aussi le résultat des bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Une aile fut totalement démolie, à l’emplacement de l’actuel terrain de football. Des vestiges attestent de cette construction disparue.

La prison fut inaugurée en 1860. La municipalité du Havre avait estimé, dès 1854, que la vieille prison des Ursulines, malsaine et encombrée, ne pouvait être ni réformée, ni améliorée, ni agrandie [1]. Il en avait été question au milieu de la monarchie de Juillet et déjà s’était posée la question de la configuration de la prison, en quartiers et dortoirs ou cellulaire, sur les modèles américains d’Auburn ou de Philadelphie. En 1839, la commission administrative de la prison proposa un programme de réforme de l’établissement en décalage avec les engouements parisiens de ce temps. Il était question de séparer les détenus, estimés à 135, en sept catégories (les prévenus récidivistes, les prévenus et condamnés primaires, les dettiers, les mineurs prévenus et condamnés, les militaires et marins, les femmes prévenues et condamnées, les prostituées) et d’affecter des dortoirs, préaux et chauffoirs séparés aux prévenus récidivistes, aux primaires et aux femmes. Les administrateurs s’inspiraient des principes philanthropiques de la Restauration et avaient suivi les recommandations de l’inspecteur général De Laville de Miremont. Les Havrais furent pris dans la tourmente des débats autour de la détention cellulaire. Il en fut question à la Chambre en 1840 et le ministre de l’Intérieur interdit ce projet, car non conforme à la circulaire du ministre de Gasparin. Ce ministre, en 1836, avait exigé des configurations cellulaires pour toutes les nouvelles constructions de prisons départementales. Charles Lucas, autre inspecteur général des prisons, donna son avis sur ce projet le 20 août 1840, après une visite sur place. Il lui reprocha d’être conçu selon “l’ancien système des catégories”, de coûter cher (22 000 francs) et de risquer d’être remis en cause par la loi de réforme des prisons en discussion à l’Assemblée, loi qui envisageait “la séparation cellulaire des prévenus et des petits délinquants”, selon les termes de son rapport. Charles Lucas déplorait la présence des filles publiques, des marins et des personnes arrêtées à la police qui auraient dû être conduites dans un “violon” municipal. Le régime dit de la “séparation individuelle” préconisé par les plus hautes autorités de l’État bloqua cette première initiative. Le département n’était certainement pas prêt à engager les dépenses nécessaires à l’aménagement de cellules. Les choses demeurèrent ainsi jusqu’au Second Empire.

La circulaire du ministre de l’Intérieur De Persigny, datée du 17 août 1853, mit fin à l’obligation de construire des prisons cellulaires. Les quartiers séparés semblaient suffisants, les dortoirs pouvant côtoyer les cellules. Le ministre incitait les conseils généraux à entreprendre sans plus tarder des constructions : “Aujourd’hui, le gouvernement renonce à l’application de ce régime d’emprisonnement, pour s’en tenir à celui de la séparation par quartiers ; mais en donnant ainsi aux départements toute facilité de pourvoir, par des sacrifices limités, aux besoins de ce service. l’administration est fondée à exiger que, partout, il soit immédiatement procédé aux travaux nécessaires pour faire cesser une situation qui viole les lois et compromet les intérêts les plus graves. Je vous invite, en conséquence, à provoquer à ce sujet une délibération du conseil général de votre département ; il serait désirable que, dès cette année, des fonds puissent être votés pour mettre à exécution des plans de restauration, qui seront désormais admis sous la simple condition de réaliser la séparation des diverses classes de détenus.” En ces temps d’ordre moral, il recommandait également d’aménager des chapelles pour l’exercice du culte dans chaque prison : “Les administrations locales comprendront, j’en suis sûr, qu’un de leurs premiers devoirs est de mettre à portée de la population prisonnière la consolation et le frein des pratiques religieuses.”

En août 1854, la municipalité du Havre envisagea la construction d’une nouvelle prison pour se substituer à l’ancien couvent, décrit comme malsain et trop petit. Charles Lucas avait qualifié d’intolérable le régime en vigueur dans cette maison. Le commissaire de la marine reprochait la confusion entre marins indisciplinés et malfaiteurs, contact qui ne pouvait mener qu’à des “leçons de dépravation [2]“.Un terrain de 8900 mètres carrés est acquis en 1855 pour la somme de de 178 000 francs. Trois années furent nécessaires à la construction. Le coût du nouvel établissement fut de 690 570 francs. Le 11 décembre 1860, les premiers détenus furent transférés des Ursulines vers la prison du quartier Danton.


Des dortoirs et des ateliers encombrés

La nouvelle maison d’arrêt et de correction devait pouvoir accueillir 180 détenus. Dès le mois d’octobre 1862, le directeur s’alarma de l’insuffisance des locaux disponibles. 315 détenus encombraient les dortoirs et les séparations étaient difficiles à maintenir. Il fallut aménager des greniers en dortoirs dès l’année suivante. 80 lits y furent placés dans le quartier des hommes. Les greniers ne disposaient pas de croisées mais de modestes tabatières. Trois ans plus tard, l’encombrement gagna le quartier des femmes et on envisagea de surélever leur bâtiment. Cette situation critique perdura. En 1886, on envisagea de nouvelles surélévations des bâtiments existants. Il fut même question de la construction d’une seconde prison, Nous disposons d’un rapport de mars 1894 de l’architecte en chef du Département de Seine-Inférieure, M. Lefort, sur un projet d’une prison pour 300 ou 420 détenus le long du boulevard d’Harfleur.

L’état sanitaire laissait aussi à désirer. La prison était humide car construite sur des terrains marécageux. Certaines caves étaient submergées d’eau, du salpêtre apparaissait sur les murs. Le temps du bricolage carcéral commençait. On envisagea par exemple d’agrandir les fenêtres des ateliers pour mieux les aérer, d’aménager des chambres de surveillance pour les gardiens à proximité des dortoirs, une alcôve pour la soeur de garde près du dortoir des femmes. En 1865 et en 1866, le choléra sévit dans la prison. Ce n’est qu’à cette date qu’on aménagea des salles d’infirmerie, mal isolées des dortoirs des prisonniers. Un médecin précisait alors qu’il préférait adresser à l’hôpital des détenus atteints de petite vérole ou de variole pour éviter la contagion dans la prison. Les lieux d’aisance étaient insuffisants, dépourvus de clapets jusqu’en 1879. Ce n’est que vers cette époque que des cabinets remplacèrent les tinettes des ateliers. À la fin du siècle, le Conseil général envisagea l’installation de douches pour remplacer les quatre baignoires de la maison.

Plan du rez-de-chaussée de la prison du Havre en 1910 avant les aménagements cellulaires (Archives départementales de Seine-Maritime 4 NP 102)

En mai 1887, lors d’une séance de la commission départementale, M. Guerrand lut un rapport sur la mission que le préfet lui avait confié sur “l’insuffisance des locaux dans la prison du Havre” : ” [...] Comme construction, elle est en parfait état, elle est presque neuve ; elle ne remonte pas, en effet, à plus de 30 ans ; mais elle ne répond plus à l’augmentation imprévue de la population pénitentiaire ; les prévisions originaires étaient pour 150 personnes environ, tandis qu’aujourd’hui il faut y loger en moyenne près de 250 prévenus et condamnés. Ainsi malgré deux dortoirs annexes construits il y a quelques années on est obligé de loger les prisonniers dans les greniers ; c’est ainsi que nous avons vu installés dans un grenier ne prenant air et jour que par des tabatières 87 lits rapprochés les uns des autres. Cette installation est des plus vicieuses au point de vue de la morale, de l’hygiène et de la surveillance. Les ateliers de travail sont devenus également insuffisants pour cette population trop nombreuse. D’autre part, la prison du Havre ne répond, en aucune manière, aux exigences de la loi du 5 juin 1875 ; il n’existe que quelques cellules. Il serait impossible d’y appliquer sérieusement, même pour tous les prévenus qui le réclameraient, la détention individuelle. [...]” M. Guerrand repoussait les suggestions – trop onéreuses pour les finances départementales – du ministère de l’Intérieur qui, en 1886, avait proposé la construction d’une nouvelle prison cellulaire ou l’aménagement d’une centaine de cellules en surélevant les bâtiments existants. Il préconisait l’aménagement de nouveaux dortoirs et ateliers : ” Pour la prison du Havre, il est urgent d’augmenter le nombre des dortoirs ; mais on y peut pourvoir sans modifier l’ensemble de la prison. Comme on l’a déjà fait pour les petits bâtiments existants à droite et à gauche de l’entrée de la prison avec l’agrément de l’autorité supérieure, on peut surélever les petits bâtiments qui existent en prolongement des ailes sud-ouest et nord-ouest sur l’alignement du chemin de ronde ; par ce moyen on obtiendrait 4 dortoirs pouvant contenir 60 lits. [...] De plus, en visitant la prison, nous avons trouvé qu’à la suite et contre l’aile sud-ouest, on pourrait construire un bâtiment annexe à usage de dortoirs, si, après la construction des quatre dortoirs ci-dessus, il était encore nécessaire d’augmenter le nombre des dortoirs. L’emplacement de cette construction qui aurait un étage se trouverait forni par un terrain pris dans la cour de l’infirmerie qu’il ne diminuerait pas d’une manière sensible. la cour de l’infirmerie peut fournir cet emplacement sans aucun inconvénient ainsi que nous l’avons reconnu sur les lieux. Cette construction donnerait 40 lits. Quant aux ateliers de travail, il serait possible d’en installer un ou plusieurs dans le grenier qui serait alors désaffecté de sa destination actuelle. Dans ces conditions, la prison du havre dont l’ensemble est au surplus très satisfaisant se trouverait replacée dans une bonne situation sous le triple rapport de l’hygiène, de la surveillance et du service pénitentiaire [3].” Des plans furent dressés où l’on constate le choix de cette solution commode des dortoirs de treize lits. Les élus locaux n’étaient pas prêts à suivre les recommandations ministérielles sur le régime de la séparation individuelle, ce qui explique le retard à la construction d’une aile cellulaire qui ne vit le jour qu’en 1910, trente-cinq ans après la loi de 1875.

Plan du premier étage de la prison du Havre en 1910, avant les aménagements cellulaires (Archives départementales de Seine-Maritime, 4 NP 102)

De part et d’autre des bâtiments de l’entrée existaient deux ailes réservées aux femmes, à gauche pour les condamnées et à droite pour les prévenues. Elles disposaient d’ateliers au rez-de-chaussée ainsi que de préaux sans communication possible avec le quartier des hommes. Au premier étage, des dortoirs étaient aménagés. À l’extrémité des ailes, quelques chambres autorisaient une location de pistole ou permettaient un placement à l’isolement. Les hommes étaient installés de chaque côté du rond point central. Prévenus et condamnés étaient en théorie séparés, avec leurs propres préaux, ateliers et dortoirs. Des prévôts choisis parmi les détenus assuraient l’ordre et la discipline au sein de dortoirs pourvus de lits de fer renfermant paillasse, draps et couvertures. La prison ne comportait qu’un seul étage. Le corridor rejoignant le greffe de l’entrée au rond point central n’avait pas d’étage. On y avait installé, sur la droite en pénétrant dans la prison, la cuisine. Dortoirs et chambrées de plus ou moins grande taille occupent quasiment tout l’espace. Les ateliers et réfectoires sont situés au rez-de-chaussée. Il exista un atelier de triage du café, un autre où l’on fabriquait des chaussons, un atelier de couronnes funéraires en perles, un atelier de cordages en chanvre. Les femmes étaient majoritairement employées à la couture de sacs de toile. Les vieillards fabriquaient de l’étoupe. Les prisonniers étaient payés à la tâche. La chapelle est mentionnée sur ce plan du premier étage, en position rayonnante sur trois ailes de détention au coeur du rond point central.


L’aile cellulaire de 1910

Construction de cellules en 1910 (Tous les plans sont signés par Lucien Lefort, architecte en chef du département de Seine-Inférieure)

Les autorités locales de la IIIe République étaient confrontées à deux problèmes délicats. La prison inaugurée en 1860 était de taille insuffisante et les principes mêmes de répartition par quartiers et catégories n’étaient pas respectés à cause de l’encombrement. La prison ne disposait quasiment pas de cellules alors que l’emprisonnement individuel des prévenus et des condamnés à de courtes peines avait retrouvé les faveurs gouvernementales et parlementaires, après le traumatisme de la Commune attribuée rapidement à des récidivistes. L’Assemblée nationale vota en 1875 une loi sur la séparation des détenus au sein des prisons départementales. Par certains aspects, on revenait aux directives strictes du ministre Gasparin : “À l’avenir, la reconstruction ou l’appropriation des prisons départementales ne pourra avoir lieu qu’en vue de l’application du régime prescrit par la loi. Les projets, plans et devis seront soumis à l’approbation du ministre de l’intérieur et les travaux seront exécutés sous son contrôle.” Les élus mesuraient également l’étendue des dépenses, malgré les promesses gouvernementales : ” Des subventions pourront être accordées par l’État, suivant les ressources du budget, pour venir en aide aux départements, dans les dépenses de reconstruction et d’appropriation. Il sera tenu compte dans leur fixation de l’étendue des sacrifices précédemment faits par eux pour les prisons, de la situation de leurs finances, et du produit du centime départemental. Elles ne pourront en aucun cas dépasser la moitié de la dépense, pour les départements dont le centime est inférieur à 20 000 francs, le tiers pour ceux dont le centime est supérieur à 20 000 francs, mais inférieur à 40 000 francs, le quart pour ceux dont le centime est supérieur à 40 000 francs. “

Aménagements cellulaires de la prison du Havre en 1910

Les départements ne se précipitèrent pas pour inaugurer de nouvelles prisons cellulaires. À Évreux, elle ne fut inaugurée qu’en 1912. Les élus préférèrent des transformations partielles, n’aménageant qu’une aile ou une portion d’établissement. Ce fut le cas à Rouen et au Havre. En 1910, sur les plans dressés par l’architecte en chef du département Lucien Lefort, on prolongea le premier étage de deux ailes et sur l’une d’entre elle, située au nord de la prison, deux étages supplémentaires couronnèrent un bâtiment désormais imposant. Une soixantaine de cellules furent ainsi construites. Une aile désormais baptisée “cellulaire”, avec des cellules au rez-de-chaussée, au premier comme au second et troisième étages, regroupa la majorité des cellules destinées aux prisonniers de sexe masculin. Autre aménagement majeur, quinze préaux individuels furent construits dans l’une des cours de promenade. La disposition en camembert, inspirée de la prison britannique de Pentonville, permettait la surveillance de chacune des courettes par un seul gardien placé au centre du dispositif.

Aménagements cellulaires de 1910. Plan d'une travée sur le couloir central (Documents provenant de la médiathèque Gabriel Tarde à Agen)

L’architecte Lucien Lefort [4] avait dû se contenter de cet aménagement partiel alors qu’il avait envisagé, en 1894, la construction d’un nouvel établissement. Il aurait pu recevoir 300 ou 420 détenus. Quatre ailes occupaient les diagonales d’un terrain de 136 m sur 170 mètres. Le dispositif était donc rayonnant autour d’un point central. Il avait envisagé une chapelle cellulaire avec 300 cases. À chaque extrémité des ailes, il aurait placé des préaux cellulaires [5]. Les cellules étaient conformes aux prescriptions de la loi de 1875 : 4 m de longueur, 2 m de largeur, 3 m de hauteur. Le coût de cette nouvelle construction effraya les élus (1 320 000 francs ou 1 520 000 francs) qui différèrent jusqu’en 1910 l’encellulement des prisonniers.


Des mutilations de la Seconde Guerre mondiale à la surpopulation contemporaine

À l’occasion d’un projet de construction de sanitaires en mai 1944, des plans de la prison furent dressés. Peu de modifications avaient été enregistrées depuis la construction de l’aile cellulaire aux débuts du siècle. On repère bien les salles d’infirmerie au premier étage de l’aile sud, aux côtés d’un petit dortoir réservé à la “détention politique”.

Plan de la prison du Havre en mai 1944

Dans de nombreux textes, il est est fait mention d’un nouveau bâtiment cellulaire qui aurait été construit et inauguré en janvier 1942. Nous n’en n’avons pas trouvé trace dans les plans des architectes pour l’instant. En septembre 1944, plusieurs bombes détruisent les bâtiments du côté sud et une partie du mur d’enceinte. On relève plus d’une dizaine de morts. Ces bâtiments ne seront pas reconstruits et laisseront place à un terrain de sport. Après guerre, l’Administration pénitentiaire se préoccupe de l’état sanitaire des prisons. Les rapports annuels du directeur Paul Amor soulignent les efforts entrepris pour améliorer l’hygiène des prisons. L’humanisation des détentions est à l’ordre du jour de la réforme pénitentiaire. Au Havre, dans les cellules, des W.C. remplacent les tinettes, la prison est raccordée au tout-à-l’égout. Dans les points fondamentaux de la réforme pénitentiaire, il était réaffirmé la nécessité d’un emprisonnement individuel pour les prévenus et les condamnés à de courtes peines. Ce voeu pieux ne put être réalisé car la prison du Havre connut, comme de nombreuses maisons d’arrêt, une suroccupation constante. Disposant de 180 places, elle accueillait 240 détenus en janvier 1998 [6], 220 en janvier 2009, selon son directeur M. Delalande. Beaucoup de cellules individuelles hébergent trois détenus.

Les trois dortoirs maintenus en fonctionnement accueillent les prisonniers “vulnérables”, principalement les auteurs d’attentats aux moeurs, souvent plus âgés que la population ordinaire de la détention ( l’âge moyen était de 28 ans en 1998) et détestés par elle. Un détenu “primaire”, condamné pour des violences à deux mois d’emprisonnement et originaire d’une ville éloignée du Havre, nous a décrit son séjour dans le dortoir 3 du “commun”, un dortoir distinct de celui dit “des pointeurs”. Sur la recommandation de détenus qui lui avaient expliqué, lors de ses premières promenades lorsqu’il séjournait encore en “cellule arrivant” que, ne connaissant personne parmi les jeunes des cités du Havre qui peuplaient la détention cellulaire, il vivrait mieux son temps de peine dans ce dortoir, il avait sollicité son admission dans cet espace auprès du chef de la détention.

Voici son témoignage : “Je me retrouve donc dans ce dortoir de 12 places maximum (en moyenne, il y avait 8 personnes présentes, mais le turn over était quand même important). L’âge des détenus était très variable puisque le plus jeune avait 18 ans et le plus vieux presque 60 ans je pense. Il y avait pas mal d’espace, les toilettes étaient fermées et une grande table était placée au milieu de la cellule de manière à manger à plusieurs. Au départ, la bonne humeur et la solidarité étaient présentes. Avec le temps, ça se dégradait. Mais faire cohabiter 8 ou 9 garçons avec souvent un fort tempérament, c’est pas facile non plus. Comme trouver le programme TV du soir… Dans l’ensemble, ça s’est quand même très bien passé, et je pense que ma peine est mieux passée que si j’avais été dans le quartier cellulaire. On se relayait souvent pour concocter un dîner digne de ce nom, avec la nourriture des cantines mises en commun. En effet, lors de la commande de celle-ci, on s’arrangeait pour que chacun achète quelque chose de différent pour varier le menu. On faisait même, de temps en temps, des bottereaux (qu’on appelle ainsi dans ma région, je ne connais plus l’appellation normande). Pour Noël, avec les colis des familles (viandes, foie gras, saumon, …), on a pu fêter ça à notre manière et oublier l’éloignement de la famille. D’une certaine manière, on faisait tous partie de la même famille ce jour là. Un des détenus étant gitan, on a même pu goûter à du hérisson. On avait aussi réussi à fabriquer quelques appareils de musculation avec des bouteilles d’eau, des cordes faîtes avec des lambeaux de draps, des sceaux, une barre de bois. Le personnel pénitencier (sic) laissait faire, même si plusieurs de ces éléments auraient dû être confisqués. Ainsi, on se mettait à plusieurs pour faire du sport, et on motivait les autres pour nous rejoindre. Enfin, on a même pu faire un match de foot (2 contre 2) en enlevant tout le mobilier se trouvant au milieu de la cellule. On savait aussi que, lors de promenade, on pouvait compter sur nos co-détenus en cas de souci. Le “commun” sortait en promenade avec les “1er étage du cellulaire”, il me semble, l’étage le plus calme du “cellulaire”. Il était très rare que les autres du commun hors du dortoir 3 sortent en promenade. Ceux du dortoir issus d’affaire de moeurs ne sortaient jamais. Même lorsque nous avions accès à la bibliothèque. Le fait même qu’ils passaient dans le couloir (on avait 2 petites ouvertures sur le couloir) donnait lieu à quelques mouvements. L’entraide était aussi valable pour les courriers. Certains ne sachant pas lire ou ayant une orthographe limitée, on pu bénéficier du savoir des autres. Pour moi, c’était une façon d’être utile et de donner confiance aux autres. J’ai quand même connu des moments de grosses prises de têtes, mais aucune violence physique. Ce fut parfois limite, mais il y avait toujours un gars pour faire revenir à la raison. Enfin, quand on revenait avec une mauvaise nouvelle d’un parloir, d’une entrevue avec l’avocat, d’un mauvais coup de téléphone ou bien même, quand on avait un coup de moins bien, il y avait toujours quelqu’un pour écouter et redonner du moral. Pourtant, les mecs n’étaient pas psychologues… Le climat était assez “familial” au commun (même si je n’ai pas été au cellulaire), et donc apprécié par les anciens ou les vulnérables. Cependant, je pense que certains jeunes plus durs appréciaient ce climat et descendaient au “commun”, ils s’évitaient ainsi les histoires du “cellulaire”. Je pense que c’est ce qui était la cause de la détérioration de l’ambiance, car ils voulaient avoir de l’emprise sur le dortoir. Voilà, je précise juste que j’exprime simplement mon ressenti et je ne suis resté “que” 2 mois. Je ne pense pas détenir toutes les vérités mais j’observais beaucoup, pour agir juste.” Cette perception d’un séjour dans le “commun” accrédite bien l’idée d’une dimension “humaine”, “familiale” de certains quartiers de cette prison. L’accent mis sur la sociabilité entre détenus, sur l’entraide retient l’attention quand on s’interroge sur la déshumanisation des établissements plus modernes.

Les ateliers ne permettent pas à tous les détenus d’améliorer leur ordinaire, car les concessionnaires ne se précipitent guère. En 1998, seulement quarante détenus étaient employés dans les ateliers de conditionnement et au service général. La prison du Havre a connu des drames, comme dans bien d’autres maisons d’arrêt françaises au taux d’occupation particulièrement élevé. En septembre 2008, un détenu fécampois tente d’égorger un co-détenu bolbécais, condamné pour agressions sexuelles, avec une lame de rasoir. En septembre 2009, un prévenu de viol sur mineur, âgé d’une soixantaine d’années, est trouvé pendu dans sa cellule. Pourtant, surveillants et détenus évoquent fréquemment la dimension humaine, familiale de la maison et disent craindre la nouvelle structure de 690 places. Les cellules individuelles, les douches quotidiennes, les toilettes séparées par une cloison du reste de la cellule sont des améliorations notables par rapport aux conditions de vie dans les prisons vétustes héritées du XIXe siècle. mais un mot revient sans cesse : la déshumanisation dans ces grands établissements aux murs de béton gris. Agressions et suicides témoignent d’un malaise grandissant dans ces structures ultramodernes [7]. Le directeur de la prison de Saint-Denis de la Réunion explique ainsi cette nostalgie des anciennes prisons où parfois les détenus s’entassaient à quinze dans des dortoirs : “Dans les vieux établissements, les conditions de travail et de détention étaient telles qu’il existait un modus vivendi entre les détenus et le personnel : pour maintenir un équilibre précaire, il y avait une application plus souple de la réglementation.” Dans la maison d’arrêt du Havre, existait une circulation très dense canalisée par les grilles du rond point central qu’un seul surveillant pouvait entrouvrir. Se croisaient personnels pénitentiaires, auxiliaires aux polos rouges, détenus attendus au parloir, en atelier, en cours, à la bibliothèque… Ces flux sur de courtes distances contribuaient à donner l’impression d’une intense activité, décuplée à certaines heures du jour en fonction des mouvements de détenus. C’est peut-être en songeant à cette dimension “taille humaine” des détentions que Mme Alliot-Marie, Garde des Sceaux, promit la “fin du tout béton” dans les nouvelles constructions. La ministre de la Justice a annoncé la fermeture de 23 prisons vétustes entre 2015 et 2017, l’ouverture de 22 établissements. “D’ici la fin de l’année 2017, environ 9.000 places vétustes seront fermées et près de 14.000 places seront ouvertes”, a précisé le ministère de la Justice. “La France sera alors dotée de 68.000 places de prison, dont plus de la moitié auront été ouvertes après 1990″.

La cellule individuelle a, de tous temps, été parée de toutes les vertus. Elle fut disciplinaire pour mater les insubordonnés dans les mitards. Elle devait éviter la démoralisation, la contamination aux temps de la fureur cellulaire de la monarchie de Juillet. Le détenu séparé des autres, du vice, seul avec sa conscience, mais visité par des philanthropes, des notables et des religieux. Il fut plus tard question de préserver les prévenus, les courtes peines, les détenus primaires des dangereux récidivistes, ces incorrigibles que l’on achemina outre-mer, à partir de la IIIe République. La cellule devait participer à l’humanisation des détentions prônée par les réformateurs de 1945. Aujourd’hui, la cellule doit préserver la “privacy” des détenus, éviter agressions et drames comme il a pu s’en produire dans la prison Bonne Nouvelle de Rouen. Les visites dans les cellules de la vieille maison d’arrêt soulignent malgré tout l’écart entre les principes généreux et la réalité quotidienne carcérale.


[1] Sur cette première maison d’arrêt on consultera l’article d’Eddy Simon, “Vie et histoire carcérale au Havre du XVIe au XXe siècle”, dans les Cahiers havrais de Recherche Historique, n°67, 2009, p. 53-76.

[2] Ces précisions proviennent du mémoire de maîtrise de Christelle Helbig, La prison du Havre au XIXe siècle, sous la direction de Y. Marec et J.-C. Vimont, Université de Rouen, 1999.

[3] Archives départementales de la Seine-Maritime, 4 NP 101.

[4] Lucien Lefort, 1850-1916, a construit à Rouen la basilique du Sacré-Cœur, l’aile ouest du Palais de Justice, les marégraphes du port, la sacristie de l’église Saint-Maclou, le porche de l’église Saint-Vivien, l’École Normale, restauration de l’église Saint-Laurent, et en Seine-Maritime, le Palais de Justice de Dieppe, le château à Saint-Pierre-de-Varengeville, la restauration de nombreuses églises.

[5] Archives départementales de Seine-Maritime, 4 NP 102.

[6] Benoit Marin-Curtoud, “Un village dans la ville”, Le Havre-Libre, n° du 26 janvier 1998.

[7] Sonya Faure, “Nouvelles prisons, ultramoderne solitude”, Libération, 16 février 2010.

La douche dans la prison Bonne Nouvelle de Rouen en 1873

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L’invention des douches au sein d’un établissement pénitentiaire rouennais en 1873 mérite attention. Un échange de correspondances entre le ministère de l’Intérieur, le préfet de Seine-Inférieure et le médecin-chef de la prison est une illustration des enjeux posés par la séparation des détenus qui sera l’objet de la loi de 1875 sur l’enfermement cellulaire des prévenus et des condamnés à de courtes peines. Deux ans auparavant, il est déjà question des dangers de réunir sous un même jet plusieurs détenus, de la nécessité de les séparer par des stalles, malgré une augmentation du coût du dispositif.

L’article d’Hervé Dajon issu d’une maîtrise sur le docteur Merry-Delabost présente parfaitement les débats qui accompagnèrent cette invention et les logiques sécuritaires, hygiénistes et financières de cette IIIeme République débutante qui, dans le cadre de l’enquête parlementaire menée par le vicomte d’Haussonville, découvrait les nombreux dysfonctionnements des établissements carcéraux et cherchait des moyens pour lutter contre la récidive tout en exorcisant les peurs sucitées par la Commune.

Cet article figure dans le menu des “revues associées” à Criminocorpus à la rubrique “Mémoires de la protection sociale en Normandie

(Jean-Claude Vimont)


Patrimoine carcéral des régions françaises (le blog)

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Jean-Claude Vimont

“L’univers carcéral français connaît de profondes mutations en ces premières années du XXIe siècle. Le blog regroupe des informations sur le devenir des établissements, hérités bien souvent du XIXe siècle, sur leur reconversion ou leur destruction. Il propose une réflexion sur le concept nouveau de “patrimoine carcéral”. Il est conçu par des étudiants en master patrimoine (deuxième année) de l’Université de Rouen, dans le cadre d’enseignements sur les “frontières du patrimoine” Telle est la présentation de ce blog conçu par des étudiants de Rouen et qui, depuis sa création en septembre 2009 , a déjà été visité 62 835 fois (à la date du 15 février 2012).

La structuration du blog a, dans un premier temps, été effectuée par régions. Il a été décidé d’affiner l’étude en inventoriant des départements et d’ouvrir une rubrique “méthodologie” pour accueillir des contributions plus générales ou sur des établissements étrangers, ainsi que des liens avec Criminocorpus (en particulier la rubrique “Architecture des prisons et patrimoine carcéral”).

Nous présentons une liste des contributions à la date du 15 février 2012, avec quelques mentions de documents remarquables ou peu connus.

Les illustrations de cette recension sont des photographies de la maison d’arrêt et de correction de Clermont-Ferrand.

Région Alsace

- La fermeture de plusieurs prisons alsaciennes (par Margaux Trouvé)

Bas-Rhin

- Présentation de l’ancienne Maison d’Arrêt de la Rue du Fil à Strasbourg (par Margaux Trouvé, prison où séjourna Louis Napoléon Bonaparte)

- L’originale reconversion de la prison Sainte-Marguerite de Strasbourg (Margaux Trouvé, ou comment “incarcérer” les élèves de l’ENA !)

- Le Struthof, ancien camp devenu lieu de mémoire et musée (par Margaux Trouvé)

- Histoire du camp du Struthof (par Margaux Trouvé)

Haut-Rhin

- La Maison d’Arrêt de Colmar (par Margaux Trouvé, une maison d’arrêt construite en 1904)

Entrée de la maison d'arrêt et de correction de Clermont-Ferrand


Région Aquitaine

Dordogne

- La Maison d’arrêt de Périgueux (par Sylvain Mallard)

- La prison de Mauzac (par Sylvain Mallard)

Gironde

- la prison militaire de Bordeaux (par Sylvain Mallard, la caserne Boudet après avoir été prison militaire devint un centre de semi-liberté pour relégués “asociaux” dans les années cinquante)

- Bordeaux/Gradignan (par Sylvain Mallard)

Landes

- L’ancienne maison d’arrêt de Mont-de-Marsan (par Sylvain Mallard) (une construction datant du Premier Empire, prison fermée en 2008)

Lot-et-Garonne

- La Centrale d’Eysses : un lieu chargé d’histoire (par Sylvain Mallard) (sur cet établissement l’exposition sur Criminocorpus : Eysses une prison dans la résistance)

- l’Avenir de Pau et Agen (par Sylvain Mallard)

Pyrénées-Atlantiques

- l’Avenir de Pau et Agen (par Sylvain Mallard)

- La “Villa Chagrin” de Bayonne (par Sylvain Mallard)

Prison de Clermont-Ferrand


Région Auvergne

Allier

- La prison de Montluçon, reconversion ou fermeture ? (par Maxime Catelain)

Cantal

- Quel avenir pour la prison d’Aurillac ? (par Maxime Catelain)

Puy-de-Dôme

- Les deux prisons de Riom (par Maxime Catelain) (Jean Zay y fut incarcéré)

- La prison de Clermont-Ferrand ou les germes d’un futur débat autour du patrimoine carcéral. (par Maxime Catelain) (Jean Zay y séjourna)


Région Basse-Normandie

Calvados

- La « Joyeuse prison » de Pont-l’Evêque : une patrimonialisation réussie (on peut se reporter à un article et des photographies de cette prison construite par Harou-Romain fils sur Criminocorpus)

- Une prison de philanthropes, Pont-L’Evêque en Basse Normandie

- La Tour Leroy de Caen : un passé carcéral invisible (par Mélanie A.)

- Une prison du XVIIe siècle convertie en musée à Honfleur (par Sophie)

- Maison d’arrêt de Caen : une prison promise à la destruction dans l’accord général (par Sophie) (Une contribution qui a suscité des commentaires intéressants)

- Prison Beaulieu à Caen (par Sophie)

Manche

- La prison du Mont Saint Michel (par Sophie)

- Le fort de l’île Pelée à Cherbourg, un futur complexe touristique ? (par Sophie) (la prison oubliée des compagnons de Babeuf)

- Fermeture de la maison d’arrêt de Cherbourg ; une seule préoccupation : l’implantation de la future prison départementale (par Mélanie A.)

- La patrimonialisation de la porte de la prison de Saint-Lô : un monument commémoratif (par Mélanie A.)

- La maison d’arrêt de Coutances promise à la fermeture (par Sophie)

Orne

- Fermeture de la prison d’Alençon : que faire du Château des Ducs ? (par Mélanie A.)

- Prison du XVIIe siècle à visiter à Tinchebray (par Sophie)

Prison de Clermont-Ferrand


Région Bourgogne

Côte-d’Or

- La maison d’arrêt de Dijon : fermeture annoncée, patrimoine en danger (par Sophie)

- Les anciennes prisons de Seurre : une aile du bâtiment de la mairie (par Mélanie A)

- L’ancienne prison de Châtillon-sur-Seine classée monument historique (par Sophie)

Nièvre

- La fermeture de la maison d’arrêt de Nevers : loin des préoccupations patrimoniales (par Mélanie A.)

Saône-et-Loire

- La prison circulaire d’Autun : un site exceptionnel à valoriser (par Mélanie A.)

Yonne

- Le donjon de Cravant, un patrimoine médiéval et carcéral (par Sophie)

- La maison d’arrêt d’Auxerre : une vieille prison du XIXe siècle encore en activité (par Mélanie A.)

- L’ancienne prison d’Avallon : un lieu d’expositions (par Mélanie A.)


Région Bretagne

- Les anciennes prisons de Bretagne (par Charlotte Daunou)

Côtes-d’Armor

- La prison cellulaire de Guingamp, la première prison de type pennsylvanien en France (par Charlotte Daunou, une des rares constructions cellulaires de la Monarchie de Juillet, classée monument historique)

- La prison cellulaire de Guingamp, construite sous la Monarchie de Juillet (par J-C V.)

- Le patrimoine carcéral de Saint-Brieuc (par Charlotte Daunou)

Finistère

- Quimper, histoire des prisons sous l’Ancien Régime (par Charlotte Daunou) (de nombreuses précisons sur le quotidien des détenus)

Ille-et-Vilaine

- La prison Jacques Cartier (Rennes), quel avenir ? (par Charlotte Daunou) (cette maison d’arrêt fut construite de 1898 à 1903. Elle a fermé en 2010. Comme à Toulouse des débats évoquent la conservation d’un établissement qui hébergea des résistants pendant l’Occupation et dont l’architecture mérite attention)

- Le centre pénitencier de Vezin-le-Coquet à Rennes, vers de nouvelles prisons (Charlotte Daunou)

Morbihan

- Maison d’arrêt de Vannes et porte de l’ancienne prison (par Charlotte Daunou)

Région Franche-Comté

Doubs

- La Saline Royale d’Arc-et-Senans : un camp d’internement (Manon Pigné présente cet établissement classé au patrimoine mondial, mis qui fut pendant l’Occupation un camps de rassemblement, un camps d’internement pour nomades et Tziganes)

- La Citadelle de Besançon, camp de prisonniers de guerre allemands

- La citadelle de Besançon : fortification de Vauban mais aussi camp de prisonniers allemands (par Manon Pigné)

- Quelle patrimonialisation pour une prison d’Etat du XVIIIe ? : L’exemple du Fort de Joux en Franche-Comté (par Manon Pigné)

Haute-Saône

- La prison de Lure (Manon Pigné présente cette maison d’arrêt construite sous le Second Empire. Elle servit de prison de relégués antisociaux lors de la réforme pénitentiaire après 1945)


Région Haute-Normandie

Seine-Maritime

La destruction de la prison du Havre (février 2012)


Région Ile-de-France

Paris

- Faut-il détruire la Petite-Roquette ?


Région Languedoc-Roussillon

Gard

- De la citadelle à l’université Fort Vauban à Nîmes (par Hélène Bacquet, sur l’ancienne maison centrale de Nîmes))

Hérault

- Le couvent des Ursulines de Montpellier (par Hélène Bacquet) ( l’ancienne maison centrale de femmes où furent écroués “l’empoisonneuse” Marie Lafargue et la républicaine Laure Grouvelle)

- Quelle utilisation pour l’ancienne maison d’arrêt de Montpellier ? (par Nicolas F.)

- Quel avenir pour le monastère d’Aniane ? (par Hélène Bacquet) (une maison centrale devenue colonie pénitentiaire, installée dans une abbaye)

- La colonie industrielle d’Aniane (par Hélène Bacquet)

- Le fort de Brescou a fermé ses portes cet été (par Nicolas F.)

Lozère

- Fermera ? Fermera pas ? (par Hélène Bacquet, à propos de la prison de Mende)

- Maison d’arrêt de Mende : une prison assez célèbre (par Hélène Bacquet)

Pyrénées-Orientales

- Un espace de mémoire : le mémorial de Rivesaltes (par Hélène Bacquet)

- Camp Joffre, dit camp de Rivesaltes (par Hénène Bacquet)


Région Limousin

Haute-Vienne

- Le château de Chalus-Maulmont et son identité carcérale.(par Clémence Deheij) (une prison d’Etat méconnue)

- La maison d’arrêt de Limoges : quel avenir pour la prison ? (par Clémence Deheij) (avec de belles reproductions de documents dont des photographies d’Henri Manuel réalisées durant les années trente)

Région Midi-Pyrénées

Ariège

- Le Château Prison de Foix (par Elodie Manoury)

Haute-Garonne

- La Prison St Michel de Toulouse ou le conflit entre interêt patrimonial, devoir de Mémoire et intérêts immobiliers (par Elodie Manoury)

- Mise en vente de la prison de Saint-Michel à Toulouse (par Hélène Bacquet)

- La prison Saint-Michel à Toulouse

- Toulouse, une pétition pour la prison Saint-Michel

Lot

- La prison de Cahors deviendra-t-elle un hôtel de luxe chinois ? (par Hélène Bacquet)


Région Nord-Pas-de-Calais

Nord

- La prison de Loos (par Anne-Sophie Diologent)

- Actualité mitigée pour les défenseurs de la prison de Loos (par Anne-Sophie Diologent qui reproduit deux articles de la Voix du Nord)

- L’ancienne prison de Bourbourg, entre conservation et transformation (par Anne-Sophie Diologent)

- Les prisons du Nord au XIXe siècle


Région Pays de la Loire

Loire-Atlantique

- Le centre pénitentiaire de Nantes (par Camille)

- Les prisons flottantes de Nantes (par Camille)

- Le château de Nantes et les autres prisons de la ville (par Camille)

Maine-et-Loire

- Le château de Saumur (par Camille)

- L’Abbaye de Fontevraud (par Camille)

- Fontevraud : Abbaye, maison centrale, centre culturel de l’Ouest

- La maison d’arrêt d’Angers (par Camille)

- Le château d’Angers  (par Camille) (voir ses célèbres graffiti)

Mayenne

- Le château de Laval (par Camille)

Vendée

- La maison d’arrêt de Fontenay le Comte (par Camille)

Sarthe

- Le patrimoine carcéral en Sarthe


Région Picardie

Aisne

- Le centre pénitentiaire de Château-Thierry : un avenir en sursis ? (Maïté D. présente cet établissement singulier habilité depuis la réforme pénitentiaire impulsée en 1945 à recevoir des prisonniers difficiles ou souffrant de troubles psychiatriques)

Oise

- Compiègne : fermeture programmée pour la maison d’arrêt (par Maïté D.)

Somme

- Le château de Ham : une ancienne prison d’Etat sauvée du péril (par Maïté D.)

- La citadelle de Doullens : un lieu au passé militaire et carcéral devenu lieu touristique (par Maïté D.) (forteresse qui hébergea des détenus politiques républicains, parmi lesquels Martin Bernard, et des détenus bonapartistes, prison de femmes qui reçut l’écrivaine Albertine Sarrazin)

- Amiens : présentation des anciennes prisons de la capitale picarde (par Maïté D., on peut se reporter à l’article de Christian Carlier sur les mineurs délinquants dans les prisons d’Amiens )

- La maison d’arrêt d’Amiens : un établissement à protéger dans le futur ? (par Maïté D.) (une prison cellulaire construite en 1902 )

- Le service éducatif des archives de la Somme retrace l’histoire des prisons de son département (par Maïté D.)


Région Poitou-Charentes

Charente-Maritime

- Les enjeux de la fermeture de la maison centrale de Saint Martin de Ré (par Nicolas F.)

- La citadelle de St-Martin-de-Ré : un patrimoine carcéral camouflé (par Nicolas F.)

- Saint Martin de Ré : la mémoire des condamnés au bagne (par Nicolas F.)

Deux-Sèvres

- Les prisons de Thouars avant 1872 (par Hélène Bacquet) (Thouars fut une maison centrale)

- Prison au chateau des ducs de la Trémoille à Thouars (par Hélène Bacquet)

- Quel avenir pour la prison panoptique de Niort ? (par Nicolas F.) (Sur Niort, on se reportera à l’ouvrage édité par Philippe Dieu et Paul Mbanzoulou, L’architecture carcérale, des mots et des murs, Privat, Toulouse, 2012)

Vienne

- La Pierre-Levée fait peau neuve (par Hélène Bacquet)

- La Pierre-Levée à Poitiers (par Hélène Bacquet)

Prison de Clermont-Ferrand

Région Provence-Alpes-Côte d’Azur

Alpes-Maritimes

- Le fort Royal de l’île Sainte Marguerite (par Mélissa)

Bouches-du-Rhône

- Marseille, la prison Saint-Pierre (par Mélissa) (de belles photographies de la nef centrale, une construction du Second Empire initiée en 1861)

- La prison Chave à Marseille (par Mélissa)

- Aix en Provence : de la prison à la cour d’Appel (par Mélissa)

Var

- Quel patrimoine carcéral pour le département du Var ? Et quelle valorisation ? (une introduction précieuse à l’étude des différents établissements de ce département par Amandine K., qui a réalisé les notices suivantes)

- Toulon, de la prison St Roch au centre pénitentiaire La Farlède (La maison d’arrêt Saint-Roch fut une des rares prisons construite en France durant l’entre deux guerres, en 1927)

- « On ne regrettera pas la prison Saint Roch ! » (par Mélissa) (il s’agit de la maison d’arrêt de Toulon)

- Toulon et son bagne (à noter les collections du musée du fort Balaguier)

- Le Fort Lamalgue de Toulon (Le fort servit de prison politique pour l’émir Abd-el Kader et pour les insurgés républicains de 1851)

- Draguignan, huit siècles de justice

- La Colonie agricole de Sainte-Anne à l’île du Levant (une de ces colonies privées du Second Empire, impulsée par la loi de 1850)

- Brignoles – Du Palais des comtes de Provence aux graffiti de sa prison (à noter, une prison construite en 1840, selon “un plan panoptique” [à vérifier], qui aurait fonctionné jusqu’en 1950 et qui compte des graffiti, principalement datés de la Seconde guerre mondiale et étudiés dans le livre Les graffiti de l’ombre)

Vaucluse

- A Avignon, la prison Sainte-Anne vendue et Une ancienne prison à vendre sur internet (par Hélène Bacquet)

- Avignon, Prison Sainte Anne : demeure de caractère, beaux volumes, meublée, vue sur le Rhône… (par Mélissa)

Prison de Clermont-Ferrand

Région Rhône-Alpes

- Une petite présentation générale des prisons de Rhône-Alpes (par Ludivine Bunel)

- Des prisons non menacées de destruction (par Ludivine Bunel)

Ain

- Enjeux patrimoniaux autour des prisons de l’Ain (Région Rhône-Alpes)

Haute-Savoie

- La prison d’Annecy : une histoire ancienne (par Ludivine Bunel)

Loire

- Un palais transformé au fil des ans en prison à Roanne (par Ludivine Bunel)

Rhône

- Le blog pour sauver les prisons de Lyon

- Le blog pour le sauvetage des prisons de Lyon (avec de nombreux plans)

- Les prisons de Lyon se font la belle

- Dans les murs des prisons St-Paul St-Joseph à Lyon

- L’histoire du Fort Saint-Jean, un exemple de reconversion réussie à Lyon (La reproduction de la notice de Lyon historique sur ce fort lyonnais qui servit de prison militaire)

- Vue et historique des prisons de Perrache : Saint-Paul et Saint-Joseph à Lyon (Ludivine Bunel présente ces deux prisons majeures, du point de vue du patrimoine architectural)

- La reconversion des anciennes prisons de Lyon : une difficile mise en œuvre (par Ludivine Bunel)

- Une nouvelle prison contre une ancienne en mal de vivre (Ludivine Bunel donne également dans cette contribution des informations sur la prison de Montluc à Lyon)

- Une bonne idée de réutilisation d’une prison : l’exemple de Montluc à Lyon (par Ludivine Bunel)

- Le Mémorial au fort Montluc à Lyon (par J-C V.)

- Témoignages concernant la prison de Montluc à Lyon (par Ludivine Bunel)

Départements d’Outre-Mer

La Guyane

- Le bagne de l’île du Salut. Guyane (courte présentation par Clem. D. du lieu de séjour du capitaine Dreyfus, de l’anarchiste Marius Jacob…)

La Réunion

- La prison Juliette-Dodu. La Réunion (par Clem. D. avec un lien pour une visite “guidée” de la prison, fermée en 2008)


Prisons étrangères et patrimonialisation

- La prison cellulaire de Philadelphie (par J-C V.)

- La prison cellulaire d’Ottawa (par J-C V.)


Compléments méthodologiques

- Les prisons , un patrimoine à valoriser par Barbara Gautier et Pierre Laisne de l’Université d’Angers

- Réflexions de Mathilde Fouché, Caroline Soppelsa et Christian Carlier au séminaire de l’ANR “Sciencepeine” à l’université de Rouen en 2010

Habiter la prison : la question de l’espace carcéral dans l’œuvre de Berthet One, ancien détenu devenu dessinateur

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Audrey Higelin

Si l’on compare la prison à l’Enfer de Dante, le prisonnier est dans un cercle, mais « une fois refermé, il ne pourra plus y échapper, même après sa libération [1] ». Des témoignages contemporains mettent des mots plus précis mais aussi plus crus sur cette réalité, qu’il s’agisse de ceux des détenus auxquels l’initiative entreprise par Michel Foucault, Pierre Vidal Naquet et Jean-Marie Domenach en 1971 a donné la parole [2], ou de ceux, moins nombreux, publiés par les détenus eux-mêmes à des fins testimoniales ou autobiographiques. On remarque que depuis le XIXe siècle il existe une continuité dans l’imaginaire carcéral et dans écrits testimoniaux autant que dans la pratique pénale.

Plus que d’architecture, en prison, il est question d’espace. De gestion de l’espace, plus précisément. Il s’agit de l’espace corporel du détenu, celui de son lieu de vie personnel – la cellule –, et celui dans lequel il évolue en communauté – l’établissement de détention dans son intégralité –. Les témoignages mettent prioritairement en question l’emprise qu’a le détenu sur son espace, de manière directe ou indirecte. Pour qualifier sa cellule, Roger Knobelspiess n’hésite pas à parler de « cage à fauves sans espace [3] », qui nierait sa qualité d’être humain au point de le réduire à l’état d’animal. Dans les premiers temps de sa captivité, la littérature nous décrit en effet un détenu qui ne reconnaît pas l’espace dans lequel il est plongé comme lieu de vie, mais comme ligne de séparation avec le monde réel, mis désormais à distance. Marthe Guimier-Mayenc, qui a fait de la prison littéraire son objet d’étude, dit à ce sujet : « Au-delà des limites qui permettent le déploiement du corps et son déplacement, les dimensions objectives du lieu de vie ne sont pas perçues par le détenu. La cellule est appréhendée en fonction des frontières qu’elle impose et non dans l’aire d’évolution qu’elle permet [4] ».

La bande dessinée L’évasion, du dessinateur Berthet One [5], offre une occasion inédite de s’interroger sur la perception de l’espace carcéral par le détenu. En effet, l’auteur est un ancien détenu ayant purgé une peine de cinq ans dans différents établissements carcéraux : la maison d’arrêt de Nanterre, celle de Bois d’Arcy, de Fleury-Mérogis, et le centre de détention de Val de Reuil. Écrite en cours d’incarcération, cette bande dessinée livre un témoignage graphique à la fois riche et complexe permettant plusieurs types de questionnements. Un entretien avec l’auteur est venu compléter notre analyse [6]. Dans une forme contemporaine propre à la culture urbaine de la fin du XXe siècle, le témoignage livré par Berthet One s’inscrit dans l’histoire littéraire du fait carcéral, tout en proposant une mise à distance de son objet qui oblige à une interprétation en creux. La vie en détention y est illustrée de manière à la fois précise, pudique et humoristique. Le personnage principal, avatar de l’auteur, habite véritablement la prison, et entretient un rapport construit avec cet espace contraint multipliant les privations sensorielles.

Le témoignage : mise à distance du sujet et inclusion dans l’histoire littéraire

Lors de l’entretien que nous avons mené, Berthet One nous a confié avoir eu pour premier mouvement le réflexe de dessiner un « journal intime d’un condamné [7] », puis s’être ravisé au profit d’un récit moins personnel, afin que son témoignage puisse être représentatif et toucher un public plus large s’il venait à être diffusé. Le contrat de lecture n’est donc pas complètement de l’ordre du témoignage, puisque le récit est construit autour de différentes expériences de détention qui débordent celles de l’auteur pour s’intéresser à toute la communauté carcérale. L’auteur n’hésite pas à opérer des distorsions avec la réalité afin de ménager l’aspect comique des scènes, ou encore ne pas livrer des détails trop crus qui, selon lui, auraient pu nuire à la diffusion de la bande dessinée une fois publiée. On remarque d’ailleurs que le personnage du détenu mis en scène par Berthet One n’est pas une stricte représentation de lui-même, mais un avatar construit selon les codes graphiques qu’il impose à toute son œuvre dessinée : tête hypertrophiée par rapport au corps, expressions hyperboliques caricaturales et mise en situation très scénographiée. En outre, dès la troisième vignette de la première planche, apparaît le personnage d’Abigaëlle, double symbolique du personnage, sous les traits d’une jeune fille au physique ingrat qui se veut être « la banlieusarde qui vit dans [s]on imaginaire [8] ». L’auteur ne laisse aucun doute sur cette parenté, et explique au lecteur, dans une planche intitulée « humeur et art [9] », que les dessins d’Abigaëlle qu’il diffuse au sein de la prison reflètent en réalité son humeur du jour.

Berthet One, Vignette 3 page 24

Il y a donc une double mise en abîme du discours, par la création revendiquée d’un avatar, et par l’instrumentalisation d’un double symbolique. Enfin, dès le premier dessin, Berthet One place son témoignage sous la tutelle d’auteurs n’ayant pas eux-mêmes fait l’expérience directe de la prison. Il se représente en train de faire un graffiti sur un mur sur lequel sont déjà accrochées des citations de William Shakespeare, Thomas Hobbes et Alexandre Dumas.

L’immédiate convocation de Victor Hugo

La couverture de la bande dessinée est à comprendre comme une scène d’exposition. Le personnage principal y est représenté seul, muni d’un paquetage, longeant un mur dans la direction d’une flèche comportant la mention « arrivants ». D’autres détenus bordent le dessin. Ils sont représentés de profil, avec un faciès ingrat, voire simiesque, et un regard menaçant tourné en direction du personnage. Sur le mur, seule perspective visuelle des personnages comme du lecteur, sont inscrits des graffitis sur lesquels il est important de revenir plus loin de manière détaillée.L’un d’eux fait écho aux citations de la première page « ouvrir une école, c’est fermer une prison », signé Victor Hugo. La citation – certes simplifiée – de la pensée de Hugo n’est pas plus un hasard que les citations de Dumas, Hobbes ou Shakespeare. L’auteur revendique cette volonté de s’inscrire dans la tradition littéraire classique par ce vecteur contemporain qu’est la bande dessinée [10]. Ce qu’il ne dit pas, et que l’on peut comprendre en creux, c’est le lien évident qui existe entre son niveau culturel à son arrivée en prison et sa facilité à trouver les voies et moyens d’établir un témoignage. En cela, les paradigmes sont les mêmes aujourd’hui qu’au XIXe siècle : le niveau socioculturel des détenus est un frein à la communication et au témoignage, aussi existe-t-il toujours un manque pour l’historien en ce qui concerne ce type de sources, même si elles sont de moins en moins isolées.

Couverture de la bande dessinée de Berthet One

Mais la parenté avec Hugo va au-delà de l’implicite d’une citation. Dans Le Dernier Jour d’un condamné, Victor Hugo conduit son lecteur en prison en même temps que son héros. D’abord, il décrit la prison de l’esprit « Maintenant, je suis captif. Mon corps est aux fers dans un cachot, mon esprit est aux fers dans une idée [11] ». Il existe une synesthésie entre corps et esprit, les limites de ces derniers sont déterminées par un espace clos, matériel et métaphorique. Nous suivons ensuite le condamné dans sa prochaine résidence, l’appréhendons avec lui. L’espace tient une place dans la dramaturgie. Il est à part entière un personnage. Il apparaît que Berthet One utilise le même procédé dramaturgique. Et comme dans Claude Gueux [12], il raconte la vie d’un détenu en adoptant une focalisation interne, puisqu’il se met lui-même en scène.

Un témoignage d’une objectivité volontairement relative

Les témoignages ne sont, par définition, pas objectifs. Il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent contenir des éléments tangibles, notamment dans les domaines dans lesquels leur auteur est le moins impliqué affectivement. Le nombre est aussi garant d’objectivité : la concordance de différents témoignages est un critère de choix dans ce domaine. Il convient aussi de mesurer la prégnance dans la réalité du récit que l’on considère. Lorsque la forme est dépouillée, que l’on n’observe pas d’artifices littéraires, et/ou que le récit a un caractère linéaire, ce dernier semble être davantage digne de foi. Il serait judicieux de confronter l’œuvre de Berthet One aux récits de Jean-Marc Rouillan [13] ou de Roger Knobelspiess [14] par exemple, mais l’entreprise est compliquée par la différence d’époque, de pratiques carcérales, et d’établissements de détention qui font l’objet d’un témoignage. La plus grosse difficulté reste la nature du vecteur testimonial. Par sa forme même, la bande dessinée de Berthet One donne le primat au dessin, et non au texte, ce qui reste un mode opératoire inédit dans cette forme achevée et publiée.

Berthet One, page 1

Le caractère très relatif du témoignage est en outre volontaire. L’auteur admet avoir usé de l’atténuation de manière régulière, notamment lorsqu’il aborde le sujet des surveillants, ou celui plus délicat des viols en prison. Il souhaitait, en plus d’assurer à sa bande dessinée une large diffusion, « éviter le voyeurisme avec des scènes dont tout le monde a déjà connaissance [15] ». Au politiquement correct, qui est consubstantiel à une bonne réinsertion, s’ajoute une certaine forme de pudeur de la part de l’auteur, même s’il n’hésite pas à se mettre en scène dans des situations qui peuvent être considérées comme humiliantes : malade, lors d’une fouille au corps, ou dans les douches.

Le graffiti : témoignage et tentative d’appropriation de l’espace

Les graffitis sont des témoignages lacunaires mais éloquents sur la vie en détention. Ils ont été étudiés dans plusieurs prisons contemporaines [16]. Dans Écrire en prison au XIXe siècle, Michelle Perrot dit à ce sujet du prisonnier de l’époque : « Privé de journaux, de livres, de correspondance, toujours étroitement contingenté et surveillé, il est coupé du monde et sans possibilité de parole. Ce qui lui reste ? Les murs. C’est pourquoi tant de prisonniers y ont gravé leur nom, esquissé un dessin – un cœur percé d’une flèche au nom de leur amante –, inscrit une apostrophe, un slogan ou un vers, cris de haine ou d’amour. Ces graffitis manifestent, envers et contre tout, un besoin irrépressible d’expression [17] ». L’accès aux livres, revues, à la correspondance, et même à l’éducation, sont autant de paradigmes qui ont évolué au XXe siècle. Mais le graffiti perdure comme témoignage lapidaire et tentative d’appropriation de l’espace physique de la prison. En cela, les graffitis proposés par Berthet One dans L’Évasion sont en tous points conformes à la description de Michelle Perrot. Sur le dessin de couverture figure un cœur percé d’une flèche et dédié à deux individus, manifestement de sexe masculin, un dessin représentant un pendu, un compte de jours d’incarcération sous formes de barres, deux mentions à l’auteur de la bande dessinée, la mention à Hugo dont nous avons déjà parlé, une citation indirecte à Shakespeare, deux dédicaces au quartier dont est originaire l’auteur, « Vive le Neuf-Troa » et « Aubervilliers La Courneuve en force », et un message humoristique singeant une délation « Momo ma tuer ». Les topoi du graffiti carcéral sont ici réunis : la dédicace, la marque de présence personnelle et la référence géographique au lieu d’origine. Dans toute la bande dessinée, l’auteur va utiliser les représentations du mur figuré comme il s’est approprié le mur réel de la prison. On pourra, comme sur la couverture, y lire des dédicaces à des amitiés nées en prison « grosse dédicace à JP et Madani [18] », des décomptes sous forme de barres qui reviennent régulièrement, de la même manière que les cœurs percés d’une flèche, des mentions textuelles ou iconographiques à l’auteur, des mentions aux villes et quartiers d’origine des détenus, et, afin de servir l’effet comique et/ou réaliste des planches, des incises et citations telles que « ceux qui se contentent de peu ne manquent de rien [19] », « sachez que même si mon corps est en cage mon esprit est ailleurs [20] », de même que de régulières mentions à Abigaëlle, le double symbolique de l’avatar de l’auteur.

Berthet One, Vignette 3 page 48


Le graffiti est compris ici comme un discours parallèle au sein de la bande dessinée. Il reproduit les lieux communs des graffitis carcéraux, mais est utilisé pour servir la bande dessinée, et parfois les dédicaces personnelles de l’auteur. On remarque l’à-propos du message véhiculé par les graffitis au sein des planches, et leur abondance, que l’on sait être conforme à la réalité carcérale. Vecteur de communication, ce type de marquage personnel de l’espace peut aussi être compris comme une tentative d’appropriation de ce dernier par le détenu, qui rend ainsi le mur de la prison moins impersonnel et marque un lieu de vie collectif de son empreinte individuelle.

L’espace carcéral : des procédés d’appropriation multiples

La bande dessinée de Berthet One a été réalisée en cours de détention, mais son titre, L’Évasion, fait référence à un extérieur fantasmé, que l’auteur admet rejoindre lorsqu’il dessine, comme il l’explique ouvertement dans une planche intitulée « l’évasion [21] ». La dernière vignette redouble l’explication graphique : « Je deviens alors un prisonnier qui recouvre la liberté, juste le temps d’un dessin [22] ».

Berthet One, Vignette 4 page 45

Berthet One, Vignette 2 page 3

La question de l’enfermement est abordée par contraste avec celle de la liberté. Le terme de promiscuité, récurrent, est en revanche immédiatement mentionné dès la deuxième vignette de la première planche [23]. Le personnage principal est mis en scène, tout au long de la bande dessinée, dans ses tentatives d’appropriation de l’espace carcéral, ou de réappropriation de son espace intime : le désir et l’obtention d’une cellule individuelle [24], le difficile passage par la fouille au corps [25], les problèmes liés à la maladie [26], l’absence d’intimité sanitaire [27], ou encore l’acclimatation à un milieu peu adapté aux variations thermiques [28]. La prison est à comprendre comme un espace de multiplication des contraintes, les critères d’appropriation de ce type d’espace sont eux aussi restreints.

L’appropriation d’un espace contraint en général : critères de possibilité

La mise en corrélation du corps humain et de l’espace n’est pas neuve. L’intérêt des sciences sociales pour la prégnance de l’espace sur le corps, du point de vue de la réception d’un monument, est en revanche assez récent. L’exemple foucaldien [29] concernant la prison est certainement le plus connu. Mais ce n’est pas tant le concept de privation de liberté qui intéresse Michel Foucault que les mécanismes du pouvoir qu’il sous-tend. À la réclusion d’exclusion du XVIIIe siècle, consécutive notamment aux lettres de cachet, succède, aux XIXe et XXe siècles, une réclusion d’inclusion que Foucault nomme séquestration. Il ne s’agit plus d’exclure les individus, mais de les fixer dans des institutions d’assujettissement. Dans Surveiller et Punir, Foucault met la gestion de l’espace, concurremment à celle du temps, au centre des mécanismes de pouvoir qui régissent cet assujettissement : le corps est alors premier récepteur de ces mécanismes, et transmetteur privilégié dans la chaîne de causalités. Le travail de Michel Foucault tend à démontrer la place centrale du corps dans les dispositifs punitifs en mettant en exergue celle, tout aussi déterminante, de l’architecture carcérale comme outil de ces mêmes dispositifs. Même si le concept de proxémie [32]. Du corps « dressé » par les disciplines de Foucault, Georges Vigarello passe au corps « redressé [33] » par les pédagogies. Les termes « micropsychologie » ou « psychopathologie [34] » sont fréquemment employés dans des travaux d’architecture et d’urbanisme. La « pauvreté sensorielle de la plupart des bâtiments [35] » et « la stérilité, sur le plan tactile, de l’environnement urbain [36] » sont autant de préoccupations à l’origine de recherches sur l’expérience physique du bâti.

Le terme proxémie est un néologisme créé par Edward T. Hall pour désigner « l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que l’homme fait de l’espace en tant que produit culturel [37] ». Il insiste sur le fait qu’architectes et urbanistes ont tendance à façonner le cadre de vie de l’homme sans forcément tenir compte de ses besoins proxémiques. Hall est ethnologue et réinvestit les conclusions qu’il tire de l’étude des mécanismes de l’espacement chez les animaux pour déduire les mécanismes liés à la saisie des distances chez l’homme. La Dimension cachée est certes un ouvrage très partisan et volontiers vindicatif, mais il fait date en définissant précisément et en expliquant par l’exemple le concept de proxémie. Abraham Moles s’inspire lui aussi de l’Environnemental Psychology, développée aux États-Unis en 1970, pour définir ce qu’il appellera la « psychosociologie de l’espace », qu’il définit comme « la perception de l’espace par celui qui l’habite [38] ». L’approche molésienne de la psychosociologie de l’espace prolonge les réflexions de Bachelard et Heidegger, et se rapproche de la phénoménologie. Moles émet un postulat : l’espace pur n’a pas d’existence, il n’existe que par référence à un sujet. La psychosociologie de l’espace serait donc l’étude de la façon dont l’individu appréhende – à différents niveaux – l’espace et son contenu. Contrairement à Hall, Moles s’intéresse aussi à la dimension affective de l’espace vécu. L’individu est au centre de la dialectique de Moles. Les approches de Moles et Hall sont à rapprocher afin de déterminer les principaux modes d’appropriation de l’espace. Les études comparatives entreprises sur l’animal par Hall permettent de montrer comment les besoins de l’homme en espace varient en fonction de son environnement. Il définit alors le principe de territorialité, à savoir la conduite caractéristique adoptée par un organisme pour prendre possession d’un territoire et le défendre contre les membres de sa propre espèce. Des expériences sur les animaux tendent à démontrer que l’augmentation du nombre d’individus sur une aire donnée provoque un stress qui réussit à engendrer une réaction endocrine létale. La promiscuité au sein d’un même espace a donc des conséquences biologiques à l’origine de problèmes psychiques : l’exemple de l’augmentation du taux de suicide et d’agression en prison est assez probant. Hall parle de « biochimie de la surpopulation [39] ». Il démontre alors que la promiscuité entraîne un stress du point de vue psychique et physique générant l’agressivité qui, quand elle augmente, suscite elle-même un plus grand besoin d’espace. Chez les animaux, ce stress peut être un facteur positif dans la mesure où il met en jeu la compétition à l’intérieur de l’espèce plutôt que la compétition entre espèces. Il n’en va pas de même pour l’homme. Dans L’Évasion, l’agressivité ambiante est sous-entendue dans la plupart des planches. Quant au suicide, il est abordé ouvertement dans deux planches [40], dont l’une est opportunément appelée « délivrance », mettant en scène un détenu à l’isolement. Si l’on fait concorder ce type de témoignages avec ceux de Knobelspiess concernant les quartiers de haute sécurité [41], ou de Rouillan d’une manière plus générale, on peut alors parler, concernant la prison, de « cloaque comportemental [42] ».

Revenons au concept d’« habiter », et rapprochons-le de ce type d’habitat spécifique qu’est l’établissement carcéral, en évoquant le rapport de l’homme à l’espace et aux mécanismes de l’appropriation. Alors que la philosophie de l’étendue est dominée par l’équivalence du « partout pareil », et donc de l’errance, la philosophie d’un espace centré a pour conséquence ce mouvement de l’être de « dominer l’espace plutôt qu’être dominé par lui », à savoir se l’approprier, s’y fixer, l’habiter. Les deux modes de perception de l’espace déterminent deux types d’appropriation : l’exploration et l’enracinement. L’appropriation favorise la différenciation ici/ailleurs, ce qui est un mouvement affectif de fixation de l’être. En termes d’espace architectural, la problématique est double. La construction du point ici, pour reprendre la terminologie de Moles, est la problématique de l’architecte, mais elle suppose une dialectique architecte/habitant afin que le phénomène d’appropriation puisse se créer. Cette appropriation est le mécanisme par lequel un être se fixe dans un espace qu’il ressent comme étant le sien. Par cette appropriation, le sujet valorise son espace et se sent valorisé par lui. Un phénomène d’identification se crée. Dans le meilleur des cas, l’habitat devient la vitrine de l’individu. Dans le cas contraire, l’individu subit son habitat et se trouve, par un mécanisme analogique, humilié par ce dernier. Les structures d’habitat collectif, espaces imposant la première contrainte de n’être pas choisis, sont particulièrement propices à la définition des critères de possibilité d’appropriation de l’espace. Il existe plusieurs espaces de l’isolement, qui se caractérisent tous par la volonté de mise au ban de la société d’un certain type de population, la prison en est un, et elle fait écho, comme type d’habitat collectif, à un certain type de logement social générant lui aussi promiscuité, insalubrité éventuelle, et agressivité latente.

Berthet One, Vignette 1 page 21

Berthet One, Vignette 2 page 44

Berthet One, Vignette 4 page 20

Dans L’Évasion, la seule perspective visuelle que possède le détenu est le mur (de la cellule, des couloirs) ou les tours de la cité dont il est originaire [43]. Lorsque l’auteur met en scène son avatar en permission, il le représente marchant entre de hautes tours d’immeubles entassés [44], et lorsqu’il dessine un personnage libre, Abigaëlle, elle est elle-même mise en situation dans l’une de ces cités [45]. Le dessin ne propose aucune différence graphique entre les logements collectifs et les cellules carcérales. « En prison, c’est comme dehors, les différences sont infimes. On revit les mêmes choses, comme la violence, ou la mise à l’amende [46] ».

Le rapport à l’espace clos

Prenons en préambule la définition que donne Erving Goffman d’une institution totalitaire : « On peut définir une institution totalitaire comme un lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées. Les prisons constituent un bon exemple de ce type d’institutions, mais nombre de leurs traits caractéristiques se retrouvent dans des collectivités dont les membres n’ont pas contrevenu aux lois [47] ». En qualité d’institution totalitaire, la prison fait partie d’un tout, et doit être comprise ainsi. Comme Foucault, Goffman considère que si « l’un des objectifs officiels les plus fréquemment invoqués est la rééducation des reclus en fonction de quelque norme idéale [48] », la principale fonction de la prison consiste dans la mise en dépôt de ses pensionnaires. Il y a alors une « contradiction entre ce que font effectivement les institutions totalitaires et ce qu’elles sont censées faire [49] ». Il n’est pas question de rééducation dans le récit de Berthet One. En revanche, la possibilité de l’instruction et l’éventualité de la récidive sont abordées. L’auteur a mis à profit ses années de détention pour passer le baccalauréat et un BTS de commerce. Mais il insiste sur le fait d’avoir été personnellement volontaire pour entamer cette démarche, et non pas spécifiquement encouragé par les différents acteurs de l’institution [50]. La récidive fait l’objet d’une planche intitulée « chacun son projet ». La dernière vignette montre deux détenus faisant part de leur intention de persister dans leur comportement délictueux au moment de leur sortie [51].

Berthet One, Vignette 5 page 10

Ces mentions à la possibilité d’instruction en cours de détention et à la récidive éventuelle confirment l’idée qu’il n’y a pas une seule et unique expérience d’incarcération, même dans un lieu de détention identique, et que la possibilité de témoigner dépend en partie du niveau culturel du détenu. Un témoignage est toujours unique et ne permet pas de dégager une norme. Comme au XIXe siècle, le témoignage du XXe siècle reste corrélé au niveau culturel du détenu et à la nature avouable de son délit. Cette hiérarchie au sein de la communauté carcérale est d’ailleurs montrée dans les planches intitulées « le secret » et le « pointeur » [52].

En ce qui concerne l’appréhension de l’espace, la première question qui se pose est de savoir, si l’on retient pour critères d’analyse de l’espace environnant l’identité, la structure et la signification, quel rapport à l’espace clos entretient celui qui le subit. L’identité du lieu reste, pour le détenu, difficile à définir. La signification fait appel au symbole, c’est-à-dire à l’image mentale, ce que Kevin Lynch [53] nomme l’« imagibilité » qui est « pour un objet physique, la qualité grâce à laquelle il a de grandes chances de provoquer une forte image chez n’importe quel observateur [54] ». Cette notion interroge directement la réception de la prison, qui est une notion difficile à discerner dans le domaine du réel. La perception que le détenu a de la prison est en outre déterminée par l’usage spatial qu’on le contraint à en faire. Françoise Lugassy a démontré, dans Logement, Corps, Identité, que « le logement est pour chacun un espace d’inscription de son identité, qui se compose dialectiquement avec l’identité inscrite au niveau de son corps [55] ». Elle souligne en outre les formes de régression personnelle, voire d’archaïsation intellectuelle qu’implique le logement pour certains individus. Hall avait déjà posé le postulat que « en créant ce monde [l'homme] détermine en fait l’organisme qu’il sera [56] ». S’il existe effectivement une synesthésie entre le logement, le décideur et l’habitant, on peut conclure que le programme carcéral est non seulement le révélateur de la conception de l’homme qu’épouse notre époque, mais qu’en plus le détenu en serait impressionné au point de s’identifier à cette cellule dans laquelle il est confiné. Le logement est un marqueur identitaire. L’architecture, comprise en tant qu’espace organisé, est aussi une projection de soi, pour reprendre le mot de Freud : « le moi est avant tout une entité corporelle, non seulement une entité toute en surface, mais une entité correspondant à la projection d’une surface [57] ». L’espace architecturé peut être entendu comme intimement lié au corps, ne représentant pas moins que « la projection de l’extension de l’appareil psychique [58] ». La prison est enfin comprise comme un tout. Dans L’Évasion, le premier gardien représenté a la tête carrée, faisant écho aux briques apparentes sur le mur devant lequel se trouve le personnage [59].

Berthet One, Vignettes 4 et 5 page 3

Gardien et prison font corps, à proprement parler. En établissant cette analogie, Berthet se situe dans la lignée des témoignages qui ont été apportés durant les deux derniers siècles, et ne s’en démarque que peu. Lorsque Maxime du Camp décrit la prison de Mazas dans la Revue des Deux Mondes, en 1869, il va déjà jusqu’à assimiler le personnel de surveillance à cet espace total et connoté. Ainsi décrit-il un gardien, dans un mouvement métonymique : « À le voir, on dirait qu’il participe de la prison même ; il est muet comme elle, il ne rit pas ; s’il parle, c’est à voix basse. C’est du reste une impression presque inévitable qui vous saisit lorsqu’on parcourt ces vastes établissements cellulaires ; on s’y croit dans la chambre d’un malade, sensation instinctive et très juste, car les lésions morales sont des affections morbides tout aussi bien que les lésions de la chair [60] ».

Caractère pathogène de la prison et déprivation sensorielle

Le caractère pathogène de la prison en tant qu’édifice est largement illustré dans L’Évasion, une corrélation étant souvent établie avec la promiscuité permanente. Les problèmes spatiaux sont en effet multiples au sein d’un édifice carcéral, la surpopulation n’étant que le symptôme le plus visible. Il apparaît, comme nous l’avons déjà évoqué, que l’espace est un repère dans l’analyse du bien-être individuel et collectif. Les relations sensibles, subjectives ou quantitatives que les individus ou les groupes entretiennent avec l’espace conditionnent nécessairement leur état psychologique et/ou biologique. La résidence au sein d’un établissement carcéral n’est pas un choix pour le détenu. Contrairement au personnel pénitentiaire, pour lui, il n’y a pas d’extérieur : la contrainte est double. Elle est à la fois ce qui préside au fait d’être incarcéré, et ce qui pèse directement sur le détenu par l’espace qu’il se voit dans l’obligation d’habiter. Ce lieu de l’omniprésence est tel qu’il détermine l’équilibre du détenu : il projette ses normes et ses valeurs sur cette portion d’espace. Une relation réciproque s’instaure : si l’espace est approprié, l’individu se sent aussi appartenir et dépendre de cet espace. Le détenu habite-t-il alors sa cellule, avec les mécanismes d’enracinement que cela implique ? Pour répondre à cette question, il faut revenir à la définition que Heidegger donne au sens de l’« habiter », défini comme « la manière dont les mortels sont sur la Terre », ou encore comme « un trait fondamental de l’être humain » ainsi que le « rapport des hommes aux lieux, ou par les lieux, à l’espace [61] ». La question de l’habiter semble alors être une question de pratiques, d’appropriations et de motivations, associées aux représentations, valeurs, symboles, imaginaires qui ont pour référent un espace donné. L’Évasion met en scène un personnage principal qui s’est aménagé des espaces de liberté dans un faisceau de contraintes. L’emprise sur le temps est caractérisée par sa mise à profit dans la reprise d’étude de l’auteur, et par la pratique du dessin de son avatar. En choisissant son activité, et en élaborant des projets d’avenir, le détenu se réinscrit dans une forme de maîtrise de sa propre histoire. La maîtrise de l’espace est toute autre. Si le personnage principal décrit sa condition privilégiée par la possession d’une cellule individuelle, l’auteur ne représente la prison que comme une succession d’espaces planes et gris constitués de murs, couloirs, portes grillagées et barreaux. Une planche intitulée « l’instant précieux [62] » est consacrée au moment de la promenade. La valeur donnée à ce moment contraste avec le caractère sordide qui est alloué à la représentation de la cour.

Marc Perelman dit de l’architecture qu’elle est « universelle puisque tout le monde habite un espace enveloppant ; elle est un fait social et universel que l’on produit, et qui circule selon les modes et se reproduit sur toute la planète. Il n’est pas d’existence possible sur la planète sans lieu de protection, et par conséquent sans architecture [63] ». Or, nous venons de l’évoquer de plusieurs manières, l’espace carcéral n’est pas proprement un espace de protection, ni même un espace de préservation de celui qui l’occupe. L’environnement architectural est au contraire conçu consciemment ou non comme une partie de la peine et un remède au mal à l’origine de la délinquance par le confinement et la séparation. L’édifice carcéral, dans sa conformation même, est générateur d’un isolement sensoriel pouvant être à l’origine de troubles psycho-pathologiques. Bernard Andrieu, dans son étude sur les techniques d’isolement sensoriel, avance que « le corps humain est une matière isolable de son environnement par la modification de ses modes d’existence, de ses rythmes biologiques et de ses habitus incorporés. L’isolement est une technique de décomposition de la constitution subjective dans le but de décorporer le moi corporel dans des structures et des expériences aliénantes. L’enfermement favorise cette décorporation par le contrôle direct et indirect des espaces, temps, activités et interactions avec l’environnement corporel [64] ». Le témoignage de Robert Knobelspiess [65] ou les travaux de Gwenaelle Aubry [66] étayent la thèse d’Andrieu. Le premier, décrivant un quartier de haute sécurité (QHS) dépeint de la manière suivante ce qui n’est rien d’autre qu’une forme d’« extermination esthésiologique [67] » : « La “privation sensorielle” ne laisse échapper personne. Elle vous brise, morceau par morceau, effiloche votre résistance quand vous sentez s’endormir votre mémoire, désoriente vos sens, ramollit votre corps, détériore votre organe sournoisement, fait tourner à vide votre capacité de penser, régresser votre intelligence [68] ». La déprivation sensorielle n’est pas présentée en tant que telle dans l’œuvre de Berthet One, mais sa manière de décrire le quotidien d’un détenu est éloquente. La planche consacrée à la fouille [69] met en scène un personnage principal démuni face à une pratique qui le prive de toute emprise sur son propre corps. Sont à noter aussi de nombreuses références à la privation sensuelle et sexuelle [70], et au manque d’intimité, notamment dans les parties sanitaires [71]. L’hygiène est représentée comme un problème à plusieurs reprises, la planche intitulée « la douche [72] » confronte le peu de possibilités offertes aux détenus de se laver, le peu de volonté que certains d’entre eux ont de le faire, et les conséquences pathogènes qui en découlent.

Quand Jules Vallès a décrit les journées qu’il passait à la prison de Mazas, il dépeignait un enchainement d’heures interminables rythmé de manière rituelle au point que le détenu peut en perdre la raison : « Citez-moi un détenu cellulaire qui ait accouché dans sa cellule d’une œuvre. On ne sait plus parler de la nature ou de l’homme dès qu’on est loin de l’une et de l’autre. La pensée travaille encore, mais n’est plus féconde. On devient mulet dans la captivité. Le cerveau, dans le vide, s’affaisse et s’ahurit ! Et l’ennui arrive, l’ennui plus horrible que la douleur, l’ennui dans lequel on enfonce comme un naufragé dans la vase, en avalant toujours et en revomissant sans cesse sa boue épaisse et fade [73] ! ». Le dessinateur Berthet One, en terminant sa bande dessinée en état de détention, est le témoin d’une évolution des pratiques carcérales autant que du ressenti du détenu, tout en proposant un témoignage que l’on peut aisément, comme on l’a vu, rapprocher d’autres productions littéraires traitant du même objet. Jules Vallès décrivait l’horreur de l’isolement cellulaire, Berthet One fait part de sa chance d’avoir une cellule individuelle, tout en subissant par ailleurs la promiscuité au sein des parties communes. La déprivation sensorielle est réelle, et elle est subie, mais atténuée par la maîtrise que le détenu avait de son temps, par la reprise d’études et du dessin. Le caractère volontairement romancé et distancié du récit fait de L’Évasion un témoignage qui se situe dans l’autofiction plus que l’autobiographie. Toujours est-il que Berthet One nous livre un témoignage original – d’abord par son caractère principalement graphique – d’une expérience assez pauvre en sources directes. Ce qui amène l’historien à s’interroger de manière spécifique sur les nouveaux medias testimoniaux issus notamment de la culture urbaine tels que le graffiti ou le dessin.


[1] Bernadette Morand, Les Écrits des prisonniers politiques, Paris, PUF, coll. « Sup. Section Littératures modernes », 1976, p. 42.

[2] Il s’agit du GIP, « Groupe d’information sur les prisons », mouvement d’action et d’information issu du manifeste du 8 février 1971, ayant pour but de permettre la prise de parole des détenus et la mobilisation des intellectuels et professionnels impliqués dans le système carcéral. Celui–ci eut un effet direct, l’entrée dans les prisons de la presse et de la radio, jusque là interdits.

[3] Robert Knobelspiess, Quartier de Haute Sécurité, Paris, Stock, 1980, p. 68.

[4] Marthe Guimier-Mayenc, Prison-vécue, Prisons imaginées au xixe siècle, Grenoble 3, Thèse littérature contemporaine, 1989, p. 25.

[5] Berthet One, L’Évasion. Journal d’un condamné, Chilly-Mazarin, Indeez, 2011.

[6] Entretien réalisé le 9 février 2012.

[7] Ibid.

[8] Berthet One, vignette 3, p. 3.

[9] Ibid., vignette 3, p. 24.

[10] Entretien du 9 février 2012.

[11] Victor Hugo, Le Dernier Jour d’un condamné [1829], édition présentée, établie et annotée par Roger Borderie, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 2000, p. 40.

[12] Victor Hugo, Claude Gueux [1834], présentation, notes, chronologie et dossier par Flore Delain, Paris, Flammarion, 2007.

[13] Jean-Marc Rouillan, Chroniques carcérales. 2004-2007, Marseille, Agone, 2007 ; Jean-Marc Rouillan, Paul des Épinettes et moi. Sur la maladie et la mort en prison, Marseille, Agone, 2010.

[14] Robert Knobelspiess, Quartier de Haute Sécurité, op. cit.

[15] Entretien du 9 février 2012.

[16] Jean-Claude Vimont, « Les graffiti de la colonie pénitentiaire des Douaires, Histoire et archives », n°2, 1998, p. 139-155 ; Jean-Claude Vimont, « Graffiti en péril », Sociétés et représentations, n°25, 2008, p. 193-202 ; Jean-Claude Vimont, “Les graffiti de la maison d’arrêt du Havre“, Criminocorpus, 2010.

[17] Michelle Perrot, « Écrire en prison au xixe siècle », dans Les Ombres de l’histoire, Paris, Flammarion, 2001, p. 245.

[18] Berthet One, L’Évasion, op. cit., notamment vignette 4 p. 3.

[19] Ibid., Vignette 5, p. 42.

[20] Ibid., Vignette 3, p. 48.

[21] Ibid., p. 45.

[22] Ibid., vignette 4, p. 45.

[23] Ibid., vignette 2, p. 3.

[24] Ibid., p. 4 et 5.

[25] Ibid., p. 7.

[26] Ibid., p. 12.

[27] Ibid., p. 16.

[28] Ibid., p. 35.

[29] Michel Foucault, Surveiller et Punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1975.

[30] Edward T. Hall, La Dimension cachée [1966], Seuil, Paris, 1971.

[31] Georges Vigarello, Le Corps redressé [1977], Paris, A. Colin, 2004.

[32] Abraham Moles et Élisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, textes rassemblés, mis en forme et présentés par Victor Schwach, Paris, L’Harmattan, 1998.

[33] Georges Vigarello, Le Corps redressé, op. cit.

[34] Abraham Moles, « Psychopathologie des grands ensembles », Education et culture, n° 18, Strasbourg, 1972, p. 4-9.

[35] Richard Sennett, La Chair et la Pierre. Le corps et la ville dans la civilisation occidentale, Paris, éd. de La Passion, 2002, p. 13.

[36] Ibid.

[37] Edward T. Hall, La Dimension cachée, op. cit., p. 13.

[38] Abraham Moles et Élisabeth Rohmer, Psychosociologie de l’espace, op. cit., p. 7

[39] Edward T. Hall, La Dimension cachée, op. cit., p. 55-58.

[40] Berthet One, L’Évasion, op. cit., p. 40 et 41.

[41] Robert Knobelspiess, Quartier de Haute Sécurité, op. cit.

[42] John Calhoun, « Population Density and Social Pathology ». Scientific American, vol. 206, février 1962, p. 139-146.

[43] Berthet One, L’Évasion, op. cit., vignette 1, p. 21.

[44] Ibid., vignette 2, p. 44.

[45] Ibid., vignette 4, p. 20.

[46] Entretien du 9 février 2012.

[47] Erving Goffman, Asiles. Études sur la condition sociale des maladies mentaux [1961], Paris, éd. de Minuit, 1968.,p. 41.

[48] Ibid., p. 121.

[49] Ibid.

[50] Entretien du 9 février 2012.

[51] Berthet One, L’Évasion, op. cit., vignette 5, p. 10.

[52] Ibid., p. 22 et 23.

[53] Kevin Lynch, L’Image de la Cité [1960], Paris, Dunod, coll. « Aspects de l’urbanisme », 1971.

[54] Ibid., p. 11.

[55] Françoise Lugassy, Logement, Corps, Identité, Paris, Editions universitaires, 1989, p. 9.

[56] Edward T. Hall, La Dimension cachée, op. cit., p. 17.

[57] Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1971, p. 194.

[58] Sigmund Freud, Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1985, p. 288.

[59] Berthet One, L’Évasion, op. cit., vignette 5, p. 3.

[60] Maxime du Camp, « Les Prisons de Paris », Revue des Deux Mondes, t. 83, 1869.

[61] Martin Heidegger, « Bâtir, Habiter, Penser » dans Essais et Conférences [1954], Paris, Gallimard, 2010, p. 175.

[62] Berthet One, L’Évasion, op. cit., p. 21.

[63] Marc Perelman, Construction du corps, Fabrique de l’architecture. Figures, Histoire, Spectacle, Paris, Editions de la Passion, 1994, p. 106.

[64] Bernard Andrieu, « Les Techniques d’isolement sensoriel : la désaffection punitive du corps prisonnier », dans Les Sphères du pénal avec Michel Foucault. Histoire et sociologie du droit de punir, textes réunis et présentés par Marco Cicchini et Michel Porret, Lausanne, Antipodes, 2007, p. 268.

[65] Robert Knobelspiess, QHS Quartier de Haute Sécurité, op. cit.

[66] Gwenaëlle Aubry, L’Isolement, Paris, Fayard, 2003.

[67] Bernard Andrieu, « Les Techniques d’isolement sensoriel », op. cit., p. 269.

[68] Robert Knobelspiess, QHS, op. cit., cité dans Bernard Andrieu, « Les Techniques d’isolement sensoriel », op. cit., p. 269..

[69] Berthet One, L’Évasion, op. cit., p. 7.

[70] Ibid., p. 9, 14, 43 et 45.

[71] Ibid., p. 16 et 17.

[72] Ibid., p. 34.

[73] Jules Vallès, « Mazas », La Rue, 15 juin 1867.

Quelques photographies de la colonie pénitentiaire de Mettray ( Jean-Claude Vimont)

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En 1975, Michel Foucault introduisait le dernier chapitre de Surveiller et punir par une évocation de la colonie pénitentiaire de Mettray : “J’aurais à fixer la date où s’achève la formation du système carcéral, je ne choisirais pas 1810 et le Code pénal, ni même 1844, avec la loi qui posait le principe de l’internement cellulaire ; je ne choisirais peut-être pas 1838 où furent publiés pourtant les livres de Charles Lucas, de Moreau-Christophe et de Faucher sur la réforme des prisons. Mais le 22 janvier 1840, date de l’ouverture officielle de Mettray. Ou peut-être mieux, ce jour, d’une gloire sans calendrier, où un enfant de Mettray agonisait en disant : “Quel dommage d’avoir à quitter si tôt la colonie“. (…) Pourquoi Mettray ? Parce que c’est la forme disciplinaire à l’état le plus intense, le modèle où se concentrent toutes les technologies coercitives du comportement. Il y a là “du cloître, de la prison, du collège, du régiment”… Depuis cette publication dont on a fréquemment oublié le sous titre “Naissance de la prison”  et qui s’achevait par la description d’une institution qui se prétendait alternative à l’enfermement des mineurs de justice, les historiens ont multiplié les études sur les colonies pénitentiaires privées et publiques, qu’elles portent ce nom ou celui de maisons d’éducation surveillée ou encore d’écoles de préservation. Concernant Mettray, nous disposons désormais du bel ouvrage collectif dirigé par Luc Forlivesi, Georges-François Pottier et Sophie Chassat, Eduquer et punir, La colonie agricole et pénitentiaire de Mettray (1839-1937), publié aux Presses universitaires de Rennes en 2005. Aux environs de Tours, à moins de dix kilomètres, la colonie de Mettray n’a pas disparu, presque conservée “dans son jus”, du point de vue architectural. Rappelons qu’elle fut l’oeuvre de l’architecte Abel Blouet, l’un des auteurs de l’important Atlas de plans de prisons cellulaires diffusé par le ministère de l’Intérieur en 1841 et du Projet de prison cellulaire pour 585 condamnés, précédé d’observations sur le système pénitentiaire, édité en 1843. Mais Philippe Saunier, dans le livre mentionné ci-dessus, rappelait que l’architecture de Mettray – les pavillons des “familles” de colons ordonnés autour d’une chapelle – résultait d’une “étonnante hybridation” entre plusieurs projets architecturaux : le carcéral, , l’hospitalier et la cité utopique. Le tout, entouré par la belle propriété  de Brétignères de Courteilles.  La société “La Paternelle” fondée en 1839, continue aujourd’hui de gérer l’exploitation agricole et administre un “Institut de Rééducation Médico-Professionnelle”. En 1939, l’établissement de Mettray fut fermé administrativement.  Il reprend vie en 1955 et devient le “Village des jeunes”, qui accueille annuellement environ 130 adolescents, de seize à vingt ans.

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À Pont-L’Évêque, une prison du temps des philanthropes

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Jean-Claude Vimont

La petite maison d’arrêt et de correction de Pont-L’Évêque a retenu l’attention des Monuments historiques. Utilisée longtemps après sa fermeture comme dépôt d’archives, elle a conservé bien des traits de sa fonction carcérale. Construite pendant la Restauration, elle est un témoignage précieux des conceptions des architectes de cette époque, avant qu’ils ne participent à la fièvre cellulaire de la Monarchie de Juillet. Harou-Romain conçut les plans et suivit le chantier. Il est plus connu pour ses plans ultérieurs de prison philadelphienne à destination de la ville de Caen. La prison de la rue Eugène-Plan a fait l’objet d’études à partir des fonds des archives départementales du Calvados. Que les prises de vues que nous avons réalisées contribuent à sa connaissance. (Photographies de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont)

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

 

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

La mise en oeuvre d’idéaux philanthropiques

C’est un décret impérial du 15 mai 1811 qui ordonna sa construction auprès du tribunal de première instance. Elle fut édifiée sur les plans de l’architecte Harou-Romain de 1823 à 1828. Ces dates sont essentielles pour comprendre l’organisation intérieure de la détention. À la fin du Premier Empire, peu après la promulgation du Code Pénal, la loi de finances du 22 septembre 1810 affecta onze millions de francs à la restauration des prisons. il était question de faire disparaître quelques geôles insalubres et vétustes de l’Ancien Régime que les Départements n’entretenaient guère. Les fonds furent absorbés par la campagne de Russie ce qui empêcha toute concrétisation dans l’immédiat. Le décret impérial s’inscrit donc dans cette dynamique réformatrice, puisque Pont-l’Évêque ne disposait que d’une geôle fort étroite où les détenus s’entassaient tant bien que mal, les sexes y étant confondus, les différentes catégories de prisonniers également. Cette maison malsaine ne pouvait accueillir d’ateliers de travail et les détenus y demeuraient oisifs et dans une grande promiscuité. L’ordonnance royale du 9 septembre 1814 reprit l’idée d’une réforme des prisons en indiquant qu’il fallait y établir un régime propre à corriger les criminels, grâce au secours du travail obligatoire et de la religion. En novembre 1818, Lainé, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur, remit un Rapport au roi sur la situation des hospices, des enfants trouvés, des aliénés, de la mendicité et des prisons. L’année suivante, plusieurs ordonnances, circulaires et arrêtés montrèrent que la situation dans les prisons et la nécessité de leur réforme n’étaient pas seulement une préoccupation des cercles philanthropiques mais aussi une priorité gouvernementale. L’ordonnance du 9 avril 1819 créa la Société royale pour l’amélioration des prisons, sur le modèle d’une société britannique fondée en 1817. Christian Carlier a utilement rappelé son importance puisque de 1815 à 1827, vingt-huit millions de francs furent dépensés par l’État pour améliorer les maisons centrales et les prisons départementales. De 1814 à 1829, 78 chefs-lieux de département et 198 chefs-lieux d’arrondissement virent leurs prisons réparées, agrandies, ou reconstruites, d’après L.-M. Moreau-Christophe [3].

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

En mai 1819, Decazes adressa aux préfets des départements un questionnaire sur la situations des prisons de leur ressort. Les réponses fournirent la matière au rapport qu’il adressa au roi, le 21 décembre 1819, première véritable enquête nationale en ce domaine. Dans ce rapport Decazes signale que l’on construit de “nouvelles prisons” à Falaise et à Pont l’Évêque. Il indique que les prisons départementales du Calvados, à l’exception de celle de Vire, sont insalubres et insuffisantes, que les sexes ne sont séparés que la nuit à Pont l’Évêque, prison qui ne dispose pas d’infirmerie. Quatre jours plus tard, il adressait aux préfets un arrêté sur la police des prisons départementales, véritable règlement général. Les membres de la Société royale menaient des enquêtes dans les établissements, se déplaçaient de départements en départements, pénétraient dans les maisons de justice comme dans les maisons centrales, dénonçaient les abus les plus criants, suggéraient des améliorations [4]. Les tableaux des prisons issus de ces rapports foisonnent. Villermé livre en 1820 Des prisons telles qu’elles sont et telles qu’elles devraient être par rapport à l’hygiène, à la morale et à l’économie. Danjou publie en 1821, Des prisons, de leur régime et des moyens de l’améliorer.C’est l’ancien déporté de Fructidor et ministre des finances de Napoléon, François de Barbé-Marbois qui nous a laissé ses impressions sur les geôles de Normandie dans son Rapport sur l’état des prisons du Calvados, de l’Eure, de la Manche et de la Seine-Inférieure, publié en 1823. Il écrit que la prison de Pont l’Evêque est la “plus hideuse” qu’il a vue. L’année suivante Ginouvier dresse un Tableau de l’intérieur des prisons de France, ou études sur la situation et les souffrances morales et physiques de toutes les classes de prisonniers ou détenus. Autre rapport de 1824, celui de Benjamin Appert sur les prisons du Nord : Rapport sur l’état actuel des prisons, des hospices et des écoles des départements de l’Aisne, du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme. Cet élan réformateur est également porté par la Société de la morale chrétienne, créé en 1821, et regroupant les philanthropes catholiques et protestants les plus libéraux. Benjamin Appert y anime le comité des prisons et des articles abordent les questions pénitentiaires dans le Journal de la Société de la morale chrétienne.

Plan de la prison de Pont-L’Évêque (Archives départementales du Calvados)

Ces rappels me semblent utiles pour appréhender le contexte de construction de la prison de Pont l’Évêque. L’oeuvre carcérale de la Restauration ne se limite pas à l’édification de la Petite Roquette, la prison cellulaire rayonnante imaginée par Le Bas à Paris. Si le panoptisme de Jérémy Bentham est connu, si les prisons américaines cellulaires d’Auburn et de Philadelphie commencent à être mentionnées dans les écrits du temps, le modèle de construction qui prédomine encore sous la Restauration en diffère sensiblement. Et c’est en celà que la prison de Pont l’Évêque est précieuse. Ses principes organisateurs sont ceux des philanthropes, soucieux de classement, d’ordre, d’éducation et de religion, avec des quartiers affectés aux différentes catégories de prisonniers et des ateliers de travail. Faire disparaître les abus des concierges, en finir avec les chaînes et les cachots, enrayer les fièvres des prisons par une meilleure hygiène, par une plus grande circulation de l’air sont les mots d’ordre de ces notables généreux qui croient en l’amendement et en la moralisation des prisonniers..

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

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Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

La prison est organisée autour d’un puits de lumière. Au centre, une chapelle, installée au premier étage est entourée de forts barreaux. De part et d’autre, disposées de manière symétrique quatre grandes chambres de 5 mètres sur 5 mètres au premier étage et quatre autres au second, qui pourraient être qualifiées de dortoirs, sont réservées aux hommes et aux femmes, aux prévenus et aux condamnés. Il ne s’agit donc pas de cellules. L’époque est aux aménagements de quartiers distincts et à la moralisation par le secours de la religion et de l’instruction élémentaire. La cour est elle même séparée en deux parties pour isoler les femmes des hommes. Plusieurs locaux hébergent les gardiens et le gardien-chef. Un mitard disciplinaire existe au sous-sol, ainsi qu’une vaste cuisine et des commodités. Comme dans toute prison, des parloirs grillagés isolent les visiteurs des détenus.

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Photographie de Réjane Boursier et Jean-Claude Vimont

Les architectes Harou-Romain, père et fils, ont conçu cet édifice. En charge des constructions publiques du Calvados, le second est plus connu pour ses projets de pénitenciers cellulaires élaborés durant la seconde moitié de la Monarchie de Juillet. Au congrès pénitentiaire de Bruxelles en 1847, Harou-Romain proposa un projet de prison cellulaire et agricole, reproduit dans la Revue pénitentiaire et des institutions préventives dirigée par Moreau-Christophe.

 

Revue pénitentiaire des institutions préventives (1847)

Il avait déjà conçu en 1840 un projet de pénitencier cellulaire, gigantesque ruche de cellules disposées autour d’une tour centrale. Le panoptisme de Bentham, avec principalement l’idée de la surveillance continue des détenus, était à l’oeuvre. Harou-Romain fils était favorable au modèle philadelphien d’isolement continu, de jour et de nuit, puisque la cellule était plurifonctionnelle : lieu du sommeil, de la prière, du travail.

L’évolution des conceptions architecturales est remarquable. De la prison philanthropique de Pont l’Évêque, on passe à la prison panoptique et cellulaire, sur le modèle des prisons américaines de Philadelphie. Les dispositions intérieures doivent isoler en permanence les détenus les uns des autres. Il y a également un changement d’échelle. Si la prison de Pont l’Évêque était destinée à recevoir une quarantaine de détenus – ils étaient près d’une centaine à la fin du XIXe siècle – les projets de la Monarchie de juillet envisagent de puissantes prisons où héberger plusieurs centaines de détenus.

Comme dans bien d’autres maisons d’arrêt et de correction, un arrêté préfectoral en organisa le régime d’emprisonnement. Nous disposons de celui de la prison de Nogent-le-Rotrou qui ne devait pas être très éloigné de celui en vigueur à Pont-l’Évêque. Il date de 1835 et est signé par Gabriel Delessert, qui joua un rôle très important dans les oeuvres philanthropiques de la Monarchie de Juillet.

Gaëtane Barbanchon et Françoise Dutour ont montré que l’écart était grand entre des réglements qui se voulaient hygiénistes, moralisateurs, soucieux d’un bon ordre au sein de ces petites prisons et la réalité quotidienne. Celle de Pont-l’Évêque souffrit longtemps de défaillances du point de vue du chauffage. L’infirmerie ne disposait quasiment pas d’équipements adaptés. Douches et baignoires étaient absentes et la saleté est mentionnée dans de nombreux rapports. Au fil des ans, la population journalière fut de plus en plus importante. Les hommes couchaient à même le sol sur des paillasses, entassés tant bien que mal dans les dortoirs où certains étaient employés à la fabrication de chaussons. Seuls quelques détenus privilégiés pouvaient se payer un lit de pistole et améliorer l’ordinaire en cantinant. L’absence d’entretien, de réparations, pourtant nécessaires, aggrava la situation.


Sur les murs de la “joyeuse prison”

Nous ne pouvons ici retracer la chronique des détentions dans cette petite maison d’arrêt et de correction, l’intrication entre la ville et la détention. Sur les murs de quelques pièces, des prisonniers ont laissé trace de leur passage, graffiti anonymes qui mériteraient une analyse plus systématique.

Durant les années cinquante, la prison de Pont l’Évêque eut les honneurs de la presse, de la chronique judiciaire et fit l’objet d’un film, La joyeuse prison d’André Berthomieu, sur les écrans en 1956, avec dans les rôles titres Darry Cowl, Robert Dalban et Michel Simon. Le 18 janvier 1949, René Girier dit René-la-canne était condamné pour tentative de vol de voiture à huit mois de prison pour tentative de vol de voiture. Il fut écroué dans la prison de Pont-l’Évêque, “une étrange cabanne”, comme il la décrit dans ses mémoires [5]. Les formalités d’écrou y sont accomplies par un détenu condamné pour escroquerie et qui fait office de comptable, de véritable administrateur de la prison, confectionnant même de faux certificats de libération. Il s’est substitué au gardien-chef Fernand Billa, un ivrogne en poste depuis 1946, qui a établi dans la geôle un régime débonnaire : permissions de nuit et de jour, visites de compagnes dans l’infirmerie, festins et alcool pour ceux qui disposent de moyens. Les détenus effectuent de menus travaux chez les habitants, chez les magistrats du palais de justice voisin. Tout se monnaye au sein de la détention. René Girier évoque les laissés-pour-compte de cet étrange régime d’incarcération : “Après avoir fini les formalités, il me bouscule dans une grande pièce. D’abord je ne vois presque rien tant le poêle qui trône au milieu dégage de fumée. Couchés, vautrés à même le sol, trente pauvres mecs me regardent. La barbe leur mange les joues. Ils sont hâces, vêtus de loques, décharnés comme des galériens. [...] La tinette est un tonneau de fer dans lequel un prisonnier squelettique, froc aux chevilles, est en train de plonger ses fesses.”(p. 244) “Les sans-grade, les dévaliseurs de poulaillers, les voleurs de vélo, les clochards, les chapardeurs, les vagabonds qui constituent quand j’arrive à Pont-l’Évêque la population de la prison, traînent une existence de bagnards, mourant de faim, de froid, rongés par la crasse, envahis de vermine.” (p. 245) “Chaque soir, nous nous déshabillons dans le couloir et, en slip, après une fouille extrêmement stricte, nous gagnons le dortoir du premier étage, emportant avec nous l’unique tinette de la prison. dans le dortoir, des fenêtres en demi-cercle sont armées de barreaux carrés disposés en rayon de soleil. Je les examine. ils sont énormes. Ils font quatre centimètres de côté.” (p. 246) En avril 1949, Girier s’évade de la prison. Des enquêtes administratives sont diligentées. Le gardien-chef est sanctionné, puis condamné à trois ans de prison. En 1953, le ministère de la justice décide la fermeture de cette prison vétuste et trop peu sûre.

 


[1] n°5, septembre-octobre 2006, n°6, novembre-décembre 2006, n°1, janvier-février 2007

[2] Réservation au 02.31.64.89.33 à l’Espace culturel des Dominicaines.

[3] L.-M. Moreau-Christophe, De l’état actuel des prisons, Paris, A. Desrez, 1837, p. 174.

[4] Sur les écrits réformateurs de la Restauration voir l’introduction du livre de L.-M. Moreau-Christophe, De l’état actuel des prisons en France considéré dans ses rapports avec la théorie pénale du code, Paris, A. Desrez, 1837.

[5] René la Canne, Je tire ma révérence, Paris, La Table ronde, 1977.

La prison de Fresnes pendant l’Épuration : caricatures de André de Rose, alias “Guy Hanro”, ancien combattant de la LVF et de la division SS Charlemagne

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Jean-Claude Vimont

Les pamphlets des épurés produits aux lendemains de la Libération et dans les premiers temps de la Guerre froide véhiculent quelques images convenues de l’univers carcéral où furent regroupés les détenus pour faits de collaboration. Fresnes a compté plus de 2300 prévenus et condamnés. La maison d’arrêt est donc fréquemment évoquée dans les témoignages, poèmes, chansons, dessins des justiciables des Cours de Justice ou de la Haute Cour de Justice. Guy Hanro ne se contente pas d’un reportage à prétention humoristique. Son recueil de dessins et de textes est aussi un pamphlet contre les vainqueurs, contre la République, contre la justice politique. Il rend également hommage à quelques victimes célèbres participant à l’édification d’un martyrologue quelque peu confidentiel, confiné dans les milieux de l’extrême-droite et des anciens collaborateurs.

Le Musée national des prisons conserve un curieux manuscrit d’une cinquantaine de feuillets illustrés et signé Guy Hanro, également orthographié Gui Hanro. Le format est de 19,5 cm par 27 cm. Les textes sont parfaitement calligraphiés et accompagnés de dessins humoristiques rehaussés de quelques couleurs. La page de titre est raturée. L’auteur a barré “souvenirs de prison” puisque le manuscrit comporte des oeuvres de sa plume, mais aussi de quelques compagnons de détention comme Robert Brasillach ou l’officier de la Légion des Volontaire Français (LVF) Demessine, l’un et l’autre fusillés à la Libération. L’auteur agrémente sa signature, ornée d’une araignée, de la mention “45″, sous de nombreux dessins. Il évoque le sort de quelques condamnés aux travaux forcés ou à la peine de mort des premiers temps de l’Épuration. La chronique semble donc concerner les années 1944 et 1945 dans la prison de Fresnes. Catherine Prade, l’éminente conservateur du Musée de Fontainebleau, m’avait confié une copie de ce manuscrit lorsque je travaillais sur les dessins de Ralph Soupault [1] , le caricaturiste de Je suis Partout et de Combats, l’hebdomadaire de la Milice, dessins publiés sous le pseudonyme de Rio, Fresnes, reportage d’un témoin. Le manuscrit demeura longtemps inexploité, car l’identification de l’auteur est malaisée.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page de titre) (Musée national des prisons)

Jean-Claude Farcy ne mentionne pas ce témoignage dans sa Bibliographie d’histoire de la justice française (1789-2008). Bénédicte Vergez-Chaignon ne le cite pas non plus dans Vichy en prison, Les épurés à Fresnes après la Libération, publié en 2006. Les récits et pamphlets des victimes de l’Épuration sont muets sur cet auteur, sur cet hôte de la cellule 460 de Fresnes. Songer à l’emploi d’un pseudonyme dans la perspective d’une publication par un journaliste interdit de publication après-guerre est une piste qui ne devait pas être négligée. D’autant qu’une page incitait fortement à des investigations dans ce milieu des journalistes sanctionnés. La vingt-cinquième page du recueil est titrée : “P.P.P.P. , le Petit Parisien présent partout, in memoriam.” Le poème moque la presse de la Résistance, en particulier Franc-Tireur, précise que d’ex-rédacteurs des Nouveaux Temps, le quotidien de Jean Luchaire, et du Petit-Parisien de Claude Jeantet, en sont les lecteurs clandestins avant d’en faire usage aux toilettes. En bas de la page, d’une écriture peu lisible mais distincte de la typographie des poèmes, une dédicace : “À mon chef de cabinet Jacques Fourret (ou Tourret) en toute amitié, 31 août 1945, (illisible, Jean-Marc…), ex-directeur administratif du Petit-Parisien”. On pouvait donc émettre l’hypothèse que l’auteur appartenait à cet organe de presse, sans pouvoir préciser sa fonction. Ce quotidien relaya les consignes des autorités allemandes pendant toute l’Occupation, accueillant nombre de journalistes du Parti Populaire Français (PPF) de Jacques Doriot et de l’hebdomadaire Je suis partout, notamment Alain Laubreaux, Lucien Rebatet, Robert Brasillach, Georges Blond, Henri Poulain. Claude Jeantet fut le rédacteur en chef du Petit-Parisien jusqu’en 1944, en même temps qu’il était l’un des principaux actionnaires de Je suis partout. Durant les années trente, cet ancien militant de l’Action Française avait la responsabilité de la page allemande de cet hebdomadaire et, membre du PPF, écrivait aussi dans la presse militante de ce parti. Les caricatures anti-républicaines, les diatribes contre la résistance communiste et contre les valets de De Gaulle, les hommages à des miliciens ou à des policiers des Brigades spéciales, le soupçon d’antisémitisme dans deux dessins iraient dans le sens de cette hypothèse, puisque les convictions réaffirmées du caricaturiste étaient celles de cet organe de presse aux ordres des nazis. Les dessins de Hanro mettent fréquemment en scène un personnage à la calvitie avancée, vêtu d’une redingote et d’un gilet rayé. Le procédé fait songer aux autoportraits de Ralph Soupault, aisément reconnaissable parmi ses compagnons de cellule à cause de ses lunettes de myope.

Cette hypothèse s’est trouvée invalidée par un échange de correspondance avec le fils (ou le frère) de ce dessinateur, à la suite d’une première publication de cette contribution. Il a reconnu la petite araignée qui orne toutes les signatures des dessins et m’a affirmé que d’autres dessins à sa disposition comportaient également ce signe distinctif. Le style des caricatures lui était également familier. Nous n’avons pas pu nous rencontrer pour effectuer des comparaisons entre le recueil du Musée national des prisons et les oeuvres conservées dans sa famille. Cependant, il m’affirma que son père (ou son frère) avait été officier dans la Légion des volontaires français contre le bolchévisme (LVF), son grand père étant lui-même inspecteur régional de cette organisation. Quelques dessins et poèmes en hommage à des “martyrs” de cette formation militaire de la collaboration trouveraient ainsi une explication par le compagnonnage des armes et la proximité idéologique. Un contact a également été établi avec la nièce d’André de Rose et, elle aussi, a apporté des renseignements précieux sur ce dessinateur.

Papillon de propagande en faveur de la LVF

Papillon de propagande en faveur de la LVF

André de Rose est né le 29 mai 1914 d’Albert de Rose et de Madeleine Bottu. Il aurait été un officier de la LVF, probablement du bataillon de marche de Grufenberg. Fin février 1945, il aurait rejoint la division SS Charlemagne, aux côtés d’anciens de la Sturmbrigade, et de la Milice. Il y aurait commandé un temps la 2e compagnie du premier bataillon du régiment 58.  André de Rose n’était pas le seul aristocrate à rejoindre les troupes françaises sous uniforme allemand. Son père était-lui-même inspecteur régional de la LVF. Par haine du communisme et par crainte du bolchevisme ? Nous manquons de précisons actuellement sur l’itinéraire de ce condamné pour faits de collaboration, pour intelligence avec l’ennemi et trahison. Il fut sanctionné de cinq années d’emprisonnement.

Les récits et les images produits par les épurés exigent de recourir à des grilles de lecture car, sous l’apparence du témoignage et du reportage, ils participent d’un combat idéologique contre les vainqueurs du jour. Systématiquement, ils mettent en cause les formes de la justice pendant l’Épuration, les conditions de détention, la Résistance et principalement la résistance communiste, la République et ses valeurs. Ces écritures contraintes sont autant de plaidoyers pour une cause proscrite et tentent une réhabilitation des plus lourdement condamnés. Souvent publiés dès les débuts de la Guerre Froide, ils n’hésitent pas à assimiler les mobiles d’un engagement passé à ceux que motive la nouvelle donne Est-Ouest. Quelques-uns ne renient rien. Ils justifient leur présence aux côtés du Maréchal, leur enrôlement dans les troupes de la Milice, de la LVF ou dans les partis collaborateurs. C’est ce que nous avons montré dans l’article “Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération » [2] Quelques images fortes reviennent dans toute cette production et elles ont contribué à dénigrer la justice de l’après-guerre, à véhiculer dans une partie de la mémoire nationale une “légende noire” de l’Épuration. Les dessins de Guy Hanro n’échappent pas aux lois du “genre”.

Un premier ensemble de dessins présente les grandes caractéristiques de la détention politique à Fresnes. Confrontés pour la première fois de leur vie au monde de la prison, tous les épurés s’efforcent de décrire leur univers. Tous mentionnent les “aboyeurs” d’étage, les rails où cheminent les marmites de soupe, les cellules à trois détenus, les parloirs à double grille, la chapelle cellulaire, les chaînes des condamnés à mort, les neuf barreaux des croisées, mais aussi le froid, l’humidité, la faim, les colis dépecés par les gardiens et la proximité humiliante. Chacune de ces images devient un topos de la production des épurés et va étayer une part de la contre-culture de ces exclus qui continueront de se fréquenter durant les années cinquante, se recevant et commentant les articles des journalistes de Rivarol. Il ne s’agit pas de contester la réalité de ce que fut cette détention quelque peu désordonnée dans une prison théoriquement cellulaire. Fresnes n’est plus “la prison quatre étoiles” moquée lors de son ouverture en 1898. Les prévenus politiques ont envahi plusieurs divisions et le “navire immobile” bruisse des appels aux parloirs, aux avocats, aux jugements, sans cesse parcouru d’auxiliaires, de détenus en transfert et de gardiens.

Guy Hanro, À travers l’Épuration, page 8 (Musée national des prisons)

Dans une première partie intitulée “poèmes”, l’auteur invite à une découverte de la prison, commençant par le transfert depuis le Dépôt de la Préfecture de police, les formalités d’écrou, le passage à l’anthropométrie, le placement en cellule d’attente avant le transfert dans la première ou la troisième division : “Ce stage terminé, à la suite d’un sbire/ Vous longez le couloir qui mène aux divisions / Une, deux, puis trois ! Vous faites l’excursion / Quatre étages de haut, profond, comme un navire.” Cette comparaison revient dans de nombreux textes. Les détenus ont été impressionnés par cette construction vaste et haute, due à l’architecte Henri Poussin. Louis Truc, dans sa Ballade de la geôle de Fresnes, publiée à compte d’auteur dès 1945, écrivait : “Fastidieuses parallèles, / Tuiles ocres sur murs de nuit,/ Bâtises mornes et jumelles, Fresnes ruisselle l’ennui / de ces barres sempiternelles ! / Vingt-huit fenêtres par étage / Font cent douze fois neuf barreaux ! Quel architecte fou de rage / A pu, dans ses calmes bureaux, / dresser les plans de cette cage ?” [3] Le dessin reproduit ci-dessus insiste sur un aspect des coursives de Fresnes : la présence de détenus responsables d’étages, transmettant les ordres d’extractions, auxiliaires administratifs des gardiens en trop faible nombre. Les poèmes évoquent ensuite l’univers plus privatif des cellules, peuplées de trois détenus, dont deux allongés la nuit sur des paillasses, au plus fort des arrestations fin 1944 et en 1945 : “Mais comment faire à trois pour une seule couche / Deux amis s’étendront par terre dès le soir / Deux paillasses seront office de dortoir / Vite on prend l’habitude, on dort comme une souche.“.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 10) (Musée national des prisons)

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 12) (Musée national des prisons)

La prison hygiénique et cellulaire s’est gravement détériorée depuis son inauguration à la fin du siècle précédent. Son “grand Quartier” est devenu “quartier allemand” pendant l’Occupation. L’isolement cellulaire préconisé par la loi de 1875 pour les prévenus et les courtes peines ne peut être appliqué. Il fut rappelé lors de la rédaction des quatorze points, des quatorze principes de la réforme pénitentiaire en 1945, mais resta lettre morte tant les prisonniers étaient nombreux. Les prisonniers souffrent du froid, les murs suintent, des croûtes de salpêtre se détachent, les rations alimentaires sont insuffisantes et seuls les colis des familles peuvent améliorer l’ordinaire. Toutes sortes de trafics entre détenus et avec les gardiens sont organisés. Yoyos et camionnettes rompent la solitude et acheminent le tabac et la presse. Par craintes des évasions les gardiens fouillent les colis. C’est à l’origine de petits drames lorsque tous les vivres sont gâchés ou mélangés.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page17) (Musée national des prisons)
“Allo deux cent vingt neuf ! Filez la camionette / La voix venant d’en bas, vient jusqu’à nos barreaux /Nous allons recevoir ainsi quelques journaux /Ou contre trois mégots changer des allumettes”

Guy Hanro, À travers l’Épuration, page 19 (Musée national des prisons)
“Heureux le prisonnier, celui dont la famille / Lui peut chaque semaine, apporter un colis / Pendant trois jours sur sept, autres jours abolis/ Avec ses trois kilos, sa faim sera tranquille”


Quelques traits spécifiques à la prison de Fresnes ont profondément marqué les détenus de la collaboration : les marmites bruyantes acheminées sur des rails tout au long des coursives par des auxiliaires, les parloirs à doubles grilles qui isolent les visiteurs des prisonniers, la chapelle et son dispositif de boîtes cellulaires où normalement les détenus auraient dû être isolés les uns des autres : “Un gardien nous culbute en nos noires cellules / Nous sommes, deux par deux, entassés, compressés / Nous sommes bien cinq cents, dont l’esprit étonné / Attend de voir son Dieu par des trous ridicules

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 21) (Musée national des prisons)

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 14) (Musée national des prisons)


Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 39) (Musée national des prisons)

La chronique de Guy Hanro n’est pas qu’une aimable pochade pour raviver les souvenirs de compagnons aux jours de la liberté retrouvée. Plusieurs vignettes et quelques textes stigmatisent les nouvelles autorités. L’auteur s’en prend d’abord à la justice politique. L’article 75 du Code pénal qui sanctionnait “l’intelligence avec l’ennemi” a droit à une chanson sur l’air de Lily Marlène. Philippe de Saint-Germain lui consacra tout un ouvrage en 1951, au plus fort des campagnes pour l’amnistie des collaborateurs.

Les épurés se récrient devant ces accusations de trahison qui jettent l’opprobre sur la nature de leur engagement. Ils dénoncent les pièces fabriquées, les calomnies, s’émeuvent de la sincérité de jeunes combattants qui n’ont pas choisi le bon camp, protestent de la sincérité du plus grand nombre. Guy Hanro écrit : “Quel est donc notre crime ? un délit politique / Que ce délit soit faux ou même véridique / Dans l’un et l’autre cas, on veut nous renier.” Il se moque des magistrats des Cours de justice. Ils sont le “tribunal’s girl” dansant autour d’une marmite appelée justice ou encore le “tribunal’s circus” prononçant de manière aléatoire les sanctions. Une liberté aveugle et enchaînée actionne la grande roue des condamnations. Les plateaux de la balance de la justice, de part et d’autre d’un glaive émoussé, sont déséquilibrés par l’argent de la prévarication. L’épuration comme une loterie, comme une partie à pile ou face.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 33) (Musée national des prisons)

Les juges ne sont que les fonctionnaires d’un nouveau régime. La République, quatrième de son nom, est, elle aussi, caricaturée. Elle est peinte sous les traits d’une vieille Marianne à bonnet phrygien, avachie, les seins tombants, le nez rouge et un tatouage sur le bras, un bas résille filé pour compléter le tout. La devise républicaine ne subit pas un meilleur sort. La liberté est illustrée par un bagnard encellulé, à vêtement rayé comme il se doit, fers aux bras et aux pieds. La fraternité, c’est un pugilat. L’égalité, un mendiant et un homme d’affaire capitaliste. La représentation de ce dernier, haut de forme et habit, panse rebondie sous un gilet orné de décorations et chaîne de montre, n’est pas sans faire penser aux caricatures antisémites de Ralph Soupault dans Je suis partout. Comme sous le trait du dessinateur PPF, figurant l’allégorie du Juif, l’homme est ici assez volumineux, de larges bajoues de part et d’autre d’un nez crochu. La supposée richesse juive semble encore inspirer le dessinateur. Une autre allégorie de la liberté, celle de Bartholdi, est présentée enchaînée. Elle n’éclaire plus le monde, mais la prison de Fresnes. Une petite Marianne au corps déformé allaite un chat.

La Résistance, et plus précisément la résistance communiste, fait aussi l’objet de quelques piques. Au détour d’un vers, il est question des “sales cocos”. Les FFI sont présentés comme des brutes avinées, de mauvais garçons peu avares de coups de matraque et lourdement armés. Le thème des résistants de la dernière heure, des brassards FFI distribués au hasard, des combattants “qui flanquent des gnons” et “crêpent le chignon des femmes” contribuent à la confection du thème que théorisera l’abbé Desgranges, le résistancialisme, et à sous entendre qu’une terreur rouge aurait fait des milliers de victimes dans les premiers temps de la Libération.

Guy Hanro reproduit à la fin de son recueil des poèmes de condamnés à mort. On sait que le poème “les bijoux” de Robert Brasillach a circulé dans les détentions, peu après son exécution. Tous les ouvrages des épurés rendent hommage aux pensionnaires enchaînés et affublés de pantalons mexicains du “quartier des fauves” de la prison de Fresnes. C’est le martyrologue de l’Épuration et Guy Hanro y participe, figurant à plusieurs reprises ces prisonniers enchaînés. Il conviendrait de mesurer l’impact, dans cette oeuvre mais aussi dans d’autres témoignages, dans les récits comme dans les images, de la représentation des chaînes. Elles entravent les victimes de l’article 75, selon Philippe Saint-Germain, elles résonnent lugubrement dans les couloirs déserts lors de certaines aubes fatales. Plusieurs ouvrages consacrés à Henri Béraud insistent, dans leur titre même, sur ces chaînes qu’il dut porter quelques jours après sa condamnation à mort. Nous signalions la salissure que représentaient les condamnations pour trahison. Les fers, les entraves en sont la traduction concrète. Les épurés rejoignent une ancestrale tradition libérale d’exigence d’un statut de détenu politique, préservant la dignité des vaincus du jour. Ils ne citent pas Magalon qui, sous la Restauration, protestait d’avoir été enchaîné à un galérien galeux lors de son transfert dans la maison centrale de Poissy. Le sort d’Henry Béraud, acheminé lui aussi à Poissy au milieu de détenus de droit commun dont des prévôts qui y exerçaient une certaine autorité, fut hissé au rang d’inconvenance suprême du nouveau pouvoir par les nostalgiques de l’ancien régime. Les chaînes, mais aussi les pantalons mexicains, avec des boutons sur le côté. Ils devaient permettre de conserver les entraves pendant le sommeil de la nuit, alors que le détenu devait remettre ses vêtements aux gardiens et les placer hors de la cellule. Le ridicule du vêtement est lui aussi tourné en dérision.

Guy Hanro, À travers l’Épuration (page 50) (Musée national des prisons)

Guy Hanro cite plusieurs noms de condamnés à mort et reproduits leurs textes. Brasillach, fusillé le 6 février 1945, conclut le recueil avec trois poèmes : “A André Chénier”, “Noël en taule” et “Les bijoux”. Avant lui, il est fait mention de R. Simonnet, condamné à mort le premier juin 1945. Le commandant A. Demessine de la LVF a écrit un texte, dédié à Robert Brasillach, “Dernier poème de la vie”. Il sera exécuté le 15 mars 1945 et il séjourna dans la même cellule 77 de la première division que Brasillach. Le poème est illustré d’un unique écusson tricolore, avec la mention France, ce que portaient sur le bras de leur uniforme allemand les légionnaires de cette organisation politico-militaire engagée sur le front russe. Cet écusson orna l’uniforme de l’auteur et Demessine fut l’un de ses chefs sur le front russe.

Un long poème en argot semble avoir été signé par Fernand David. Ce commissaire de police, fusillé le 5 mai 1945, avait mené la traque aux résistants communistes à la tête de l’une des Brigades spéciales de la Préfecture de police.

Le recueil de Guy Hanro n’a pas grande valeur, intrinsèquement. Il n’apporte guère d’informations nouvelles sur la prison de Fresnes des épurés. Il montre cependant comment certaines images ont acquis une force, une dimension qui va perdurer bien au-delà des années quarante, ont influencé quelques historiens et une part de l’opinion. Il contribue à l’édification d’une légende noire, ne dissimulant pas ses préférences politiques. Elles ont été oubliées par quelques auteurs qui n’ont retenu que l’imagerie négative au point de confondre la subjectivité d’un témoin, et même d’une victime, avec l’histoire.

 


[1] ]Jean-Claude Vimont, “Le caricaturiste enfermé. L’Histoire de la Justice en France et les représentations iconographiques“, dans Pascal Dupuy (dir.), Histoire, images et imaginaire, Pise, 2002. Jean-Claude Vimont, ” Images ambiguës d’un navire immobile : la prison de Fresnes des épurés”, Sociétés et représentations, 2004, n°18, p. 217-231.

[2] Jean-Claude Vimont, “Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération » dans Michel Biard (dir.), Combattre, tolérer ou justifier ? Ecrivains et journalistes face à la violence d’Etat (XVIe-XXe siècle), Rouen, Presses universiatires de Rouen et du Havre (PURH), Cahiers du Grhis, 2009, p. 145-174.

[3] Louis Truc, Ballade de la geôle de Fresnes, Paris, Le Troll, 1964, p. 23.

Ange Soleil, le sinistre « prévôt » du « nouveau bagne ». La maison centrale de Fontevrault au milieu du XXème ( Jean-Claude Vimont)

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Police magazine. 1939. Reportage sur la maison centrale de Fontevrault

Police magazine. 1939. Reportage sur la maison centrale de Fontevrault

Jean Genet n’a jamais été incarcéré dans la maison centrale de Fontevrault. Pourtant Le Miracle de la rose évoquait la sombre prison du Maine-et-Loire : « De toutes les centrales de France, Fontevrault est la plus troublante. C’est elle qui m’a donné la plus forte impression de détresse et de désolation, et je sais que les détenus qui ont connu d’autres prisons, ont éprouvé, à l’entendre nommer même, une émotion et une souffrance comparable ». Dans la dédicace de Notre-Dame-des-Fleurs, Genet mentionnait  l’assassin Ange Soleil aux côtés d’autres célèbres criminels des années trente et ajoutait : « C’est en l’honneur de leurs crimes que j’écris mon livre ». Ange Soleil – « le nègre Ange Soleil avait tué sa maîtresse », écrivait Genet – fut pendant une dizaine d’années l’un des prévôts-comptables de la maison centrale et fut cité dans plusieurs témoignages de détenus. Ces deux œuvres furent rédigées durant les années d’incarcération de Genet, publiées en 1944 et 1946. Réalité et fiction se mêlent au point que le Centre culturel de l’Ouest qui est installé dans l’Abbaye a fait de Jean Genet une « figure centrale » du lieu.

Mieux connaître ce criminel qui fascina l’écrivain et exerça un pouvoir exorbitant sur ses codétenus – droits communs, communistes, résistants, condamnés pour faits de collaboration – c’est tenter de comprendre le fonctionnement intérieur d’une maison centrale au milieu du XXème siècle.  Elle était qualifiée de « bagne nouveau » puisqu’elle accueillait désormais les forçats qui n’étaient plus acheminés vers la Guyane. Mais elle conservait bien des traits de la vieille centrale inaugurée en 1804, avec, notamment, ses détenus galonnés, ses prévôts, ses comptables qui, aux côtés des surveillants, maintenaient l’ordre et la discipline dans ce vaste ensemble pénitentiaire.

En 1939, Police Magazine consacra un long reportage à la maison centrale de Fontevrault. Tout au long de douze  numéros, du 7 mai 1939 au 23 juillet 1939, l’hebdomadaire publia les souvenirs d’un détenu anonyme de la prison ; souvenirs illustrés de croquis et de photographies retouchées. Jean du Fousseret, l’un des journalistes de la revue,   n’offrait guère de précisions sur sa personnalité en introduction de la première livraison. Il affirmait qu’il s’agissait de l’auteur d’un délit, condamné correctionnel à dix-huit mois d’emprisonnement « pour des infractions aux lois sur les sociétés ». Romain S. aurait reçu une éducation brillante et mondaine. Il se serait comporté brillamment durant la Grande guerre, revenu décoré et galonné. Sa peine étant supérieure à une année, il fut conduit à Fontevrault, aux côtés de réclusionnaires et de forçats, parmi les criminels qui avaient été à la une de la presse pendant les années trente. Le journaliste ajoutait qu’il avait été jeté dans un « panier à rats ». D’où le titre de cette série d’articles, « des pages écrites en cachette, la nuit souvent, dans l’obscurité d’une cellule ou d’un cachot », selon le journaliste qui les introduisait : « Le panier aux rats. Souvenirs d’un détenu de Fontevrault. Le bagne nouveau. »

Police Magazine 1939. Reportage sur Fontevrault

Police Magazine 1939. Reportage sur Fontevrault

Il ajoutait : « On en excusera, on en comprendra le réalisme.(…) Jamais, non plus, récit ne fut plus implacablement vrai ». Pour susciter l’intérêt et le frisson des lecteurs, Jean Du Fousseret mentionnait les patronymes de « tristes héros » de faits divers. Parmi eux : « Ange Soleil, le sergent d’infanterie coloniale qui tua sa femme à coups de bouteille et la découpa ensuite en morceaux ». Il indiquait également que le reportage permettait de découvrir un aspect nouveau de l’exécution des peines puisque la peine des travaux forcés n’emportait plus une transportation en Guyane, mais une incarcération dans une maison centrale de la métropole :

« Celui qui a écrit ces souvenirs revient, comme il le dit, « du bagne ». Mais il revient de bagne nouveau qui a remplacé l’ancien. Une loi récente, encore incomplète a décidé que les condamnés aux travaux forcés ne seraient plus « exportés ». C’est-à-dire qu’ils ne seront plus transportés à la Guyane. Ils accompliront leur peine dans certaines de nos prisons intérieures, dans des maisons centrales rigoureusement déterminées. Celle de Fontevrault est la principale de ce genre. On pense même, dans les milieux pénitentiaires qu’elle pourrait bien devenir, ou demeurer, la seule, l’unique prison réservée aux forçats. D’autant plus que le personnel est déjà spécialisé dans la garde et la surveillance des condamnés aux travaux forcés. C’est là que, avant de rallier le dépôt de l’Ile de Ré, ils sont depuis longtemps « entreposés ». Les fonctionnaires de cette maison de force sont des « techniciens ». Donc, la prison de Fontevrault remplace le bagne ancien. »

Le pronostic était erroné, car la guerre, les répressions allemandes et françaises contre les communistes et les Résistants, puis l’Epuration et ses centaines de condamnés pour intelligence avec l’ennemi obligèrent l’Etat à recourir à d’autres maisons centrales que Fontevrault ; Riom, Caen, Clairvaux, Eysses pour ne citer que quelques exemples significatifs.  Mais en 1939, l’hebdomadaire répondait à une question du public, pour ne pas dire à une angoisse : que faisait-on désormais de ces bagnards dont on ne se débarrassait plus Outre-mer ? Dire que les condamnés aux travaux forcés étaient désormais confiés à des « techniciens » pouvait rassurer, même s’il s’agissait d’une contre-vérité. Les gardiens de la centrale étaient très peu qualifiés ; des fils prenaient la suite de leur père et même de leur grand-père dans des emplois qui n’exigeaient guère de compétence si ce n’est de se faire obéir par les prévôts qui les assistaient. Peu importe si nous avons affaire à un procédé journalistique qui consiste à dissimuler un reportage, une enquête, sous l’artifice de mémoires authentiques, les informations réunies sur la maison centrale sont fort précieuses et méconnues. Elles peuvent d’ailleurs être croisées avec d’autres sources, officielles comme les rapports de l’inspecteur général des services administratifs Armand Mossé, officieuses comme les témoignages d’autres enfermés.

Un bagne nouveau ?

La vieille abbaye bénédictine fut transformée en maison centrale dès 1804 et demeura en fonctionnement jusqu’en 1963. Les travaux du professeur Jacques-Guy Petit, notamment son livre Ces peines obscures… La prison pénale en France, ont parfaitement décrit le fonctionnement de cette prison-manufacture. Bien des caractéristiques de la maison n’ont guère changé au milieu de XXème siècle par rapport au siècle précédent. La nouveauté réside dans l’accomplissement de la peine des travaux forcés dans cette enceinte et non plus dans les bagnes portuaires ou coloniaux.

Police Magazine 1939

Police Magazine 1939

Les peines « coloniales » avaient suscité de vives critiques : le coût des transportations,  les entraves au développement économique de la Guyane, l’aspect peu intimidant de Saint-Laurent-du-Maroni pour des criminels espérant s’en évader plutôt que de demeurer incarcérés en métropole, les excès du personnel de surveillance local, le caractère souvent perpétuel de l’expatriation… Albert Londres, Alexis Danan, l’officier de l’Armée du Salut Charles Péan et bien d’autres avaient dénoncé l’immoralité et la dépravation du bagne, la vie en commun et le système disciplinaire. Un échec global de la colonisation pénale : peu d’infrastructures construites, une mise en valeur agricole dérisoire, le chômage des condamnés libérés. La France était également critiquée à l’étranger.  La commission Matter, nom du premier président de la Cour de cassation, suggéra en 1936 au gouvernement de supprimer les peines coloniales. En juin 1937, ce projet reçut un avis favorable de la commission de législation civile et criminelle de la Chambre des députés. Elle envisageait une peine de travaux forcés exécutée dans les maisons centrales de métropole, avec au début une période d’emprisonnement cellulaire et, à la fin, « une épreuve d’internement dans un camp de travail ou de surveillance par une société de patronage »

La suppression de la transportation des condamnés aux travaux forcés fut la conséquence de la loi du 13 avril 1938 et du décret-loi du 17 juin 1938.  Quatre points essentiels organisaient la nouvelle peine. Elle serait subie dans une maison de force. Elle débuterait par une phase cellulaire. Ensuite, pendant toute la durée de la peine, les prisonniers seraient isolés la nuit. Ils ne pourraient pas bénéficier de libération conditionnelle. L’internement dans des camps de travail était abandonné.  Dès cette époque, on regroupa les condamnés aux travaux forcés dans les maisons centrales de Caen et de Fontevrault. La première était rangée parmi les maisons centrales de force destinées aux réclusionnaires ; la seconde, parmi les maisons centrales de correction destinées aux condamnés correctionnels à plus d’une année. Des circulaires des 15 juillet et 9 septembre 1937 avaient affecté les relégables à la maison centrale de Riom et les condamnés aux travaux forcés dans celle de Caen. On avait donc ouvert des quartiers de réclusionnaires à Loos-lès-Lille, à Nîmes, à Ensisheim et à Fontevrault. Tout cela avait un caractère transitoire. L’administration pénitentiaire tâtonnait.

Des révoltes éclatèrent parmi les forçats et relégués qui ne souhaitaient pas demeurer emprisonnés. On organisa même un ultime convoi de relégués vers la Guyane en 1938. Mais comme l’indiquait le journaliste de Police Magazine, Fontevrault servait déjà de dépôt aux condamnés aux travaux forcés en transit pour Saint-Martin-de-Ré. Au 31 décembre 1937, l’effectif était de 750 détenus. 398 étaient soumis à un régime cellulaire de nuit, dans ces boxes installés dans de vastes dortoirs communément appelés « les cages à poules ». 352 étaient au « commun » dans des dortoirs gardés la nuit par des prévôts. Ange Soleil était l’un d’eux.

Ange Soleil, meurtrier de son épouse, « détenu-comptable »

Parmi les centaines de détenus de la maison centrale, le patronyme d’un « comptable », détenu galonné exerçant des responsabilités au sein d’une prison,  ne manquait pas de surprendre. Ange Soleil avait eu son heure de « célébrité » durant les années trente puisqu’il avait comparu à trois reprises devant la cour d’assises de la Seine. Jean Genet l’avait fait figurer dans l’incipit de Notre-Dame-des-Fleurs aux côtés de Weidmann, Pilorge et Soclay.

Ange-Jean-Chrysostome Soleil était né à Fort-de-France el 23 juin 1899. Il avait été maréchal des logis dans l’infanterie coloniale. Danseur dans une « troupe nègre », comme il se disait à l’époque, il donna des représentations en Belgique et en Espagne. Il était également qualifié de danseur-mondain dans les music-hall de Montmartre. Le « bel Ange », un « ange brun même mulâtre », selon Le Matin du premier juin 1931, collectionnait les succès féminins. Il épousa à Marseille une danseuse antillaise Séverine-Victoire Jorian. Le couple s’installa à Paris. Séverine dansait au Châtelet et faisait vivre le ménage.  Certains journaux n’hésitèrent pas à la présenter en prostituée au service de son mari souteneur. Ange Soleil avait fait la connaissance au Jardin d’Acclimatation d’une jeune ariègeoise, Marie-Jeane Fadel. Se faisant passer pour un jeune licencié en droit à la veille d’acquérir une étude de notaire, il séduisit la jeune femme. Il fut vite question de mariage. En 1930, il emprunta à son épouse une somme d’argent pour acheter un smoking, au prétexte de nouvelles représentations en province. Il disparut, prit le train et alla se marier le lendemain près de Foix, à Miglos en Ariège. Le smoking payé par la première épouse avait servi lors de la cérémonie de mariage avec la seconde. Il s’empara de l’argent de la dot puis s’enfuit à nouveau.  Il revint à Paris. La première épouse apprit l’existence de la seconde et déposa une plainte. Le 29 janvier 1931, il fut arrêté et conduit au dépôt

Ange Soleil comparut devant la cour d’assises de la Seine au début du mois de juin 1931. La première épouse voulait bien lui pardonner, mais tout le village ariègeois lui était farouchement hostile. Le Matin offrait ce portrait de l’accusé : « Ange Soleil pénètre avec assurance dans le box des accusés : le mulâtre porte un élégant veston bleu-prune, un nœud papillon ; il jette un coup d’œil sur la salle, regarde ses deux épouses, assises à côté l’une de l’autre, puis il compulse quelques notes. » Le président de la cour reconnut que c’était la première fois qu’il jugeait un bigame qui avait quitté sa première épouse la veille, pour en épouser une autre le lendemain. Soleil prétexta qu’il était séparé de son épouse depuis 1930. La seconde épouse désespérée tenta de s’empoisonner. Il fut condamné à deux années d’emprisonnement pour bigamie, après avoir bénéficié des circonstances atténuantes. Le Petit parisien du 14 octobre 1932 signalait qu’Ange Soleil, à son tour, avait tenté de se suicider, s’estimant déshonoré.  Il  n’était plus en prison à cette date ayant bénéficié d’une réduction de peine. Il avait averti le commissaire de son arrondissement de son acte par une lettre. Le policier se rendit à son domicile et le découvrit inanimé, ayant absorbé dix cachets de Véronal Il fut conduit à l’hôpital Saint-Louis. L’enquête révéla qu’il vivait à nouveau avec sa première épouse. Elle  lui avait pardonné.

Ange Soleil aux assises de la SeineEn 1935, il figura à nouveau en première page de nombreux quotidiens. Il avait tué et découpé en morceaux son épouse. Le crime eut lieu en août 1934. Il avait assommé sa femme à coups de bouteille. Un ou plusieurs coups mortels ? Le docteur Paul, médecin légiste, expliqua à la barre en octobre 1936 comment Ange Soleil avait ensuite découpé son épouse en huit morceaux inégaux. Malhabile, le criminel aurait mis six heures pour ce dépeçage. Cyrano, journal satyrique du 23 octobre 1936, décrivait l’horreur du public à l’écoute des précisons du légiste : « Ange Soleil, muni de deux couteaux de cuisine, ouvrant les chairs du bassin, fouillant, les mains pleines de sang, pour trouver les muscles et les articulations, puis sectionnant les cuisses en long et grattant les fémurs… »  Les nombreuses entailles montraient qu’Ange Soleil avait éprouvé des difficultés pour atteindre les articulations et détacher les membres.  Les restes avaient ensuite été déposés dans une malle, à l’exception d’une main, d’un avant-bras et d’une cuisse jetés dans le canal de l’Ourq.. Il enroba la malle de ciment et la dissimula dans une alcôve de leur logement d’Aubervilliers. La malle était devenue une banquette. Avec des trous d’aération ? Les avis des experts divergèrent sur ce point. Il avait dérobé une vingtaine de francs dans le sac de sa victime et était parti s’enivrer avant de déployer ses talents en maçonnerie d’intérieur. La malle ne fut découverte qu’en  février 1935 par le concierge qui nettoyait le logement. L’ancien locataire fut rapidement retrouvé grâce au fichier des hôtels et garnis et parce qu’il était inscrit au chômage depuis le 10 mai 1934. Ange Soleil avoua avoir tué son épouse à l’occasion d’une dispute. L’instruction fut menée par le magistrat qui avait eu à connaître de l’affaire Violette Nozières. La préméditation semblait devoir être écartée.  Les journalistes suivirent la reconstitution du crime quelques mois plus tard. Ce fut l’occasion de quelques nouveaux articles. En février 1936, Ange Soleil comparut devant a cour d’assises de la Seine. Son défenseur obtint un complément d’information pour procéder à un examen mental de l’accusé.  Quatre médecins aliénistes procédèrent à son examen, les docteurs Truelle, Génil, Perrin et Cellier. Ils aboutirent à une même conclusion. Ange Soleil était totalement responsable au moment du crime, même s’il affirmait « avoir agi dans un rêve ». Il prétendait que la dispute avait éclaté à cause des infidélités de sa femme qu’il venait de découvrir.

Ange Soleil devant la cour d'assises de la Seine

Ange Soleil devant la cour d’assises de la Seine

Fin 1936, nouveau procès. Il fut condamné à vingt années de travaux forcés et à vingt années d’interdiction de séjour. Il n’était plus question d’un transfert vers la Guyane. Il fut conduit à Fontevrault. Ange Soleil semble avoir eu un émule. En mai 1937, comparut devant les assises de Lyon Antoine Collini. Il avait tué et dépecé sa maîtresse. Il avait découpé le corps en huit morceaux et les avait dissimulés dans une croûte de ciment. Il avait placé la tête dans un pot-au-feu avec du ciment et l’avait jetée dans la Saône. Les experts se divisaient sur son état mental – responsable au moment des actes selon l’un, « hérédo-alcoolique à constitution délinquante selon deux autres -  et le procès fut renvoyé à une audience ultérieure.

« Le panier aux rats »

En 1939, la maison centrale comptait environ une centaine de gardiens pour sept cents détenus, un mélange de « correctionnels », de « réclusionnaires » et « travaux forcés ». Pour distinguer ces différentes catégories, les détenus portaient un brassard sur le bras de leur veste, avec leur numéro matricule imprimé en noir. Le brassard était rouge pour les forçats,  jaune pour les réclusionnaires, blanc pour les correctionnels. Des condamnés aux travaux forcés regrettaient de ne plus partir en Guyane. Une révolte éclata à Fontevrault, mais fut vite étouffée en dispersant cent quarante condamnés aux travaux forcés dans d’autres maisons de force.  Certains écrivaient au garde des sceaux. Les « perpétuités » craignaient de demeurer pendant toute leur peine dans une prison ; les condamnés à temps se demandaient si ils allaient effectuer le « doublage » au sein de la maison centrale.

En 1943, les résistants communistes menèrent une lutte pour ne plus être confondus avec les droits communs, pour ne plus être soumis à la loi du silence. Au prix de jours de mitards et après des rencontres avec le directeur Dufour et le sous-directeur Escoffier, ils purent porter sur leur manche sous leur numéro matricule une bandelette qui les distinguait des détenus ordinaires.

Ce souci d’une démarcation entre « politiques » et « droits communs » avait pour objectif d’obtenir une régime de détention spécifique, dans le droit fil d’une tradition libérale française initiée dès la monarchie de Juillet. Ne pas être confondu avec les criminels, c’était éviter la criminalisation d’une opinion ou d’un combat. C’était aussi le vœu d’être à l’écart de personnages peu recommandables, par exemple, les condamnés pour des affaires de mœurs, des pères incestueux du monde rural, quelques-uns à la fois pères et grands-pères, des violeurs, sommairement appelés les « mœurs ». Quelques détenus avaient eu leur heure de célébrité à l’occasion de leur procès. Un alcoolique avait égorgé sa femme puis l’avait ouverte avec son couteau « pour voir ce qu’il y avait de dedans », le fils d’un procureur de Bretagne, à demi-fou, avait abattu sa femme d’une décharge de chevrotine, un prince russe était là pour escroquerie, un baron allemand, condamné pour espionnage et tentative d’assassinat avait tenté à plusieurs reprises de s’évader de la Guyane et l’Administration pénitentiaire préférait le conserver à Fontevrault. Dans la maison centrale était incarcéré Gabriel Soclay, l’assassin d’une petite fille en 1935. Il avait failli être guillotiné. Il y avait aussi l’aveugle Del Bono. Cet ingénieur italien, amant délaissé, avait blessé sa femme, tué son beau-père et l’un de ses enfants. Arrêté, il avait tenté de se suicider d’une balle dans la tête qui lui avait tranché le nerf  optique. Condamné à mort en février 1935, il avait été gracié et purgeait une peine de travaux forcés à perpétuité. Des oustachis complices de l’attentat contre le roi de Yougoslavie Alexandre 1er et le ministre des affaires étrangères Louis Barthou étaient présents dans la centrale. Spiller « le roi de l’évasion » était étroitement surveillé. Roger Million, le complice de Weidmann, auteur de plusieurs assassinats, subissait une peine de travaux forcés à perpétuité, ayant été gracié de la peine de mort par le président Albert Lebrun.

Un détenu de Fontevrault. Del Bono lors de son procès

Un détenu de Fontevrault. Del Bono lors de son procès

La discipline d’une maison centrale était rigoureuse. Tous les effets personnels étaient confisqués, les lettres, les photographies (qu’ils ne pouvaient revoir qu’une fois par mois pendant une heure, si leur conduite était bonne) comme les bandages herniaires. Les condamnés étaient tondus. La barbe, les moustaches étaient interdites. Les prisonniers portaient un droguet brun (une veste, un gilet et un pantalon), du linge de corps de toile épaisse et rugueuse, un bonnet (une espèce de casquette sans visière), des sabots à brides et une cravate à petits carreaux bleus et blancs. Il était interdit de fumer. Les déplacements au sein de la prison se faisaient au pas, à une cadence quasi militaire au rythme imposé par les prévôts. Un quartier de discipline avait été organisé. Les prisonniers y étaient isolés les uns des autres. Ils ne travaillaient pas. Tous les quatre jours, ils touchaient une demi-gamelle de soupe maigre. Entre temps, ils étaient au pain sec et à l’eau. Un détenu prévôt accueillait les punis, et les passages à tabac n’étaient pas rares, pour calmer les prisonniers qui avaient été pris dans une rixe.

Une manufacture carcérale

Plusieurs ateliers fonctionnaient dans la maison centrale : un atelier de filature construit aux côtés de l’ancienne abbaye, avec sa haute cheminée, plus rémunérateur que les autres ateliers et assez prisé par les détenus, un atelier de chaises ( environ deux cents détenus en 1939), un atelier d’ébénisterie, un atelier de tissage d’où sortaient les droguets marrons destinés aux différentes maisons centrales et des couvertures, un atelier malsain de manipulation et de cardage de laine brute, un atelier de boutons en nacre, un atelier de fabrication de chaussons. On fabriquait également des filets de pêche. Les détenus travaillaient de 8h à 11h30, puis de 14h à 17h30. Le silence était de règle. Les seules paroles ne devaient concerner que les tâches à accomplir.

L'atelier des chaises dans la maison centrale de Fontevrault en 1939

L’atelier des chaises dans la maison centrale de Fontevrault en 1939

Le fonctionnement de l’atelier des chaises était particulièrement rigoureux. Les prisonniers étaient affectés à la découpe du bois, au montage ou au paillage. Les détenus étaient payés à la tâche. Un contremaître civil, représentant de l’adjudicataire qui avait obtenu la concession de cet atelier auprès de l’Etat,  vérifiait la production de chaque détenu, acceptait ou refusait les objets fabriqués, demandait parfois des retouches ou améliorations. Si une chaise était refusée, le détenu était sanctionné par quinze jours au quartier de discipline. La direction de l’établissement plaçait dans cet atelier les fortes têtes. Pour les anciens de la maison, l’atelier des chaises était un mauvais atelier.  Le système des rémunérations dans cet atelier était parfaitement décrit dans le numéro de Police magazine du 4 juin 1939 :

« La confection de deux chaises représente sept heures de travail à 2 fr. 35 l’objet, soit 4 frs 70. Un forçat est aux trois dixièmes (c’est-à-dire qu’il ne reçoit que les trois dixièmes de la somme qui lui est due, le reste revenant à l’Etat). Ainsi il touche 1 fr. 30 et l’Etat 3 fr. 40. Pour ce prix, l’Etat l’entretient. La soupe à l’eau représente seulement 2 francs par jour.  En outre, l’Etat perçoit de l’adjudicataire 2 francs par chaise. Un forçat rapporte donc à l’Etat la somme de 5 fr. 50. De plus l’entrepreneur a également son bénéfice. Il paie, tant à l’Etat qu’à l’homme, 4fr. 85 la chaise finie ; c’est-à-dire que chaque objet manufacturé lui revient à 8 fr. 35 et est vendue en gros 15 à 16 francs. En somme, le forçat a rapporté 5 fr. 35 à l’Etat et 8 francs à l’entrepreneur. Il lui est resté 26 sous qu’il peut employer à la cantine pour améliorer son ordinaire : un café coûte 3 sous, un quart de vin, 2 sous, un ragoût de légumes 15 sous. C’est plus qu’il ne peut dépenser. Mais il faut dire que l’atelier des chaises est le plus mauvais de tous ».

En 1936, les prisonniers eurent écho des avancées sociales obtenues par les ouvriers qui s’étaient mis en grève et avaient occupé les usines. Il y eut quelques grèves perlées à Fontevrault, mais les meneurs et les grévistes furent vite sanctionnés par des transferts au quartier disciplinaire. Quelques détenus ne présentant pas de dangerosité, choisis parmi les correctionnels, participaient à des corvées extérieures dans l’établissement de jeunes détenus de Saint-Hilaire. Ils y faisaient des fagots de bois, préparaient du bois de chauffage qu’ils livraient aux familles de gardiens. Deux fermes profitaient également de la main d’œuvre d’une dizaine de détenus.

Les Inoccupés

L’atelier des Inoccupés (une centaine de détenus sur sept cents en 1939) regroupait tous ceux qui étaient incapables de travailler parce que trop vieux, malades, estropiés et béquillards, manchots et unijambistes, tuberculeux, sept ou huit aveugles, des prisonniers souffrant de troubles mentaux, des anciens combattants de 14-18 mutilés, pourvus de pilons et de bras articulés, des gazés crachotant. Ils demeuraient, des heures entières, assis sur des bancs à écouter la lecture d’un détenu ou tournaient, en silence,  dans une cour de promenade au rythme imposé par un prévôt.

Police Magazine 1939

Police Magazine 1939

Avec l’arrivée de militants communistes de la région parisienne, des conseillers municipaux, le leader syndical Marcel Paul, les détenus résistants menèrent la lutte pour ne plus être astreints au travail dans les ateliers. On leur refusa un dortoir et un réfectoire distinct, mais ils furent regroupés aux Inoccupés. Là, ils organisèrent des cours, une véritable université avec inscription et professeurs. Le rapport de force avait permis d’arracher quelques concessions, mais ils ne tardèrent pas à être transférés dans la nouvelle maison centrale de Blois.

Aux temps de l’Epuration, la section des Inoccupés n’avait guère changé. Nous disposons du témoignage de Pierre de Varaigne, un vieil homme (né vers 1880) condamné à vingt années de travaux forcés pour faits de collaboration :

« Le sixième jour de mon arrivée (début 1947), je fus extrait du quartier cellulaire ainsi que mes compagnons de voyage et conduit, à cause de mon âge et de mon état de santé au quartier « des Inos n°1 (inoccupés). J’étais vêtu du costume de bure, uniforme de l’établissement, coiffé d’un béret à rayures noires et blanches, chaussé de sabots de bois. A mon entrée, la cour du quartier était vide. Guidé par un surveillant, je fus introduit dans une grande salle où, assis sur des bancs, cent quatre-vingts détenus écoutaient en silence et sous la surveillance d’un gardien la lecture faite par l’un des leurs. Un petit poêle faisait ce qu’il pouvait pour réchauffer l’atmosphère de la pièce, mais il avait raison de compter sur l’aide puissante que lui apportait la chaleur animale dégagée par les occupants. (…) Sur un signe du surveillant, le lecteur s’arrêta et les détenus se dirigèrent l’un derrière l’autre vers la cour, pour la promenade qui coupait  d’un quart d’heure de défilé, au pas cadencé par les « gauche-droite » de l’aboyeur (détenu chargé d’assurer le rythme de la marche), chacune des heures de lecture. (…) »

Dortoirs et « cages à poules »

Les dortoirs avaient à leur tête un prévôt, quelquefois quatre pour les plus grands. Au cours de la nuit, ils devaient, à tour de rôle, pendant trois heures, parcourir et surveiller les dormeurs. Le prévôt se voyait octroyer un quart de vin et cinq centimes  par jour. Il pouvait menacer un détenu récalcitrant d’un transfert au quartier disciplinaire et n’hésitait pas à frapper. En cas de trouble, il avait à sa disposition une sonnette pour prévenir un gardien. Ces grandes pièces aux murs enduits de coaltar étaient particulièrement humides. Les fenêtres barreaudées demeuraient ouvertes pour tenter d’atténuer l’humidité. Les dortoirs pouvaient compter de vingt à soixante lits. Une barrique couchée dont on avait élargi le trou de la bonde servait de WC. A 19h, une cloche actionnée par le prévôt résonnait. Un surveillant faisait le décompte des hommes présents. C’était l’heure du coucher. Le silence était imposé.

Police Magazine 1939

Police Magazine 1939

La maison centrale de Fontevrault disposait d’un dortoir cellulaire : un couloir central et de part et d’autre cinquante compartiments séparés par des cloisons légères. Des grillages permettaient d’observer les détenus en permanence. Quatre prévôts dirigeaient le dortoir et assuraient des rondes durant quatre heures. Ils  avaient pour tâche de boucler les détenus en refermant un verrou extérieur à chaque compartiment. Il y eut plus tard un système qui permettait de fermer toutes les « cages à poule » en même temps. Les  cellules des prévôts demeuraient ouvertes. Les prisonniers admis au dortoir cellulaire portaient presque tous des galons de bonne conduite, ou occupaient des postes au sein de la hiérarchie des détenus.

Le bruit sourd des sabots en cadence

Tous les témoignages, même ceux d’habitants ayant résidé à proximité de la maison centrale, insistent sur le bruit de centaines de sabots de prisonniers marchant au pas, sous les ordres aboyés par un prévôt, lors des déplacements des dortoirs aux réfectoires, des ateliers vers les cours de promenade aux pavés irréguliers, dans les vastes escaliers de l’abbaye bénédictine aux marches usées par des milliers de réclusionnaires durant cent cinquante années. Philippe Saint-Germain a décrit l’un de ses premiers réveils :

« Cela commence par un bruit sourd, le piétinement d’une meute, dont on perçoit faiblement mais distinctement l’aboiement. Un aboiement lugubre, cadencé, qui enfle jusqu’à emplir votre sommeil et sans transition, vous vous retrouvez assis sur la paillasse, réveillé d’on ne sait quel cauchemar. Le grouillement meurt, renaît, comme si la meute chassait un gibier vivant ; soudain comme un éclair la lumière jaillit dans le cerveau endormi. Ce piétinement sourd est devenu un martèlement sec de sabots, et l’aboiement qui vous surprenait tant, c’est le cri régulier du prévôt donnant la cadence à son groupe. Ce que j’avais pris pour une meute de chiens hurlants, c’étaient mes camarades partant au travail»

Police magazine 1939. Maison centrale de Fontevrault
Police magazine 1939. Maison centrale de Fontevrault

Le résistant communiste Marcel Thomazeau, condamné à sept années de travaux forcés et présent à Fontevraud de février à septembre 1943, a évoqué dans son témoignage oral les blessures occasionnées aux chevilles par les sabots, les tours de promenade au rythme du « une-deux, droite-gauche », crié par le prévôt, le surveillant placé au centre sur une estrade, autorisant ceux qui, d’une claque dans la main, réclamaient d’aller aux WC de la cour. Les Inoccupés de la l’Epuration, particulièrement nombreux, n’avaient pour seule activité  que de marcher en silence dans une cour, à Fontevraud, comme à Poissy, maison centrale décrite par Henry Béraud, ou à Clairvaux, évoquée par Lucien Rebatet. Citons encore le témoignage de Philippe Saint-Germain :« Et nous allions ainsi, des heures et des heures, sabotant les uns derrière les autres, sans un mot, sans un regard, traînant notre ennui sombre comme la veste marron du compagnon de file. Je me souviens de camarades écrasés de fatigue, les pieds ensanglantés dans leurs sabots, contraints de poursuivre leur « marche ou crève », d’infirmes molestés par les gardiens parce qu’ils ne maintenaient pas la cadence, de traînards arrachés des rangs et jetés au mitard sans qu’on écoute leurs raisons, de bavards « marmités » (action de porter un rapport au détenu) pour un coup d’œil échangé avec un voisin. Toutes les heures nous nous retrouvions pour quinze minutes assis sur le banc de la « pause » bercés par la voix monotone du lecteur enchaînant un chapitre de roman que personne n’écoutait» Pierre de Varaigne, autre épuré, avait lui aussi les pieds blessés, faute d’avoir pu attacher les brides de ses sabots.

La hiérarchie des comptables et prévôts

L’administration pénitentiaire avait établi une hiérarchie parmi les détenus. Ceux qui portaient des galons violets avaient été récompensés pour bonne conduite. Ils avaient droit à de menus privilèges : acheter chaque jour un quart de vin à la cantine et deux, les dimanche et jours fériés ; écrire chaque semaine à la famille.. Quelques détenus occupant de bonnes places conservaient leur chevelure. Il en était ainsi d’un secrétaire à la visite médicale, un ancien complice de Stavisky, directeur du Crédit municipal d’Orléans. Il existait toute une variété de galons : jaunes pour les contremaîtres d’ateliers, rouges pour les prévôts de dortoir, double galon rouge pour les comptables. Etre affecté dans la compagnie de pompiers de la centrale était un privilège très recherché et accordé aux détenus les plus soumis. Ils pouvaient se réunir dans une cour sans dépendre des ordres des gardiens. Ils intervenaient dans la prison, dans la colonie de jeunes détenus à proximité et dans le bourg voisin. Après chaque manœuvre, les pompiers étaient récompensés par un quart de vin. Ils étaient regroupés dans deux dortoirs sains situés au nord, avec un caporal pompier-prévôt de chambrée. L’administration tolérait que les pompiers fument dans le soir dans leur dortoir. Au sommet de la hiérarchie, quatorze détenus, des comptables d’ateliers, des responsables de réfectoire ou du quartier disciplinaire, disposant d’un costume pénal de bonne coupe, de lunettes d’écaille, soignés et propres. Les pouvoirs des prévôts n’étaient pas négligeables. Signaler un prisonnier à un gardien pouvait être synonyme de rapport disciplinaire et de jours de mitard. Les prévôts de dortoirs empêchaient les amours fugitives entre détenus, mais toléraient les trafics de tabac, cette monnaie d’échange commune à toutes les prisons. Les tatouages étaient théoriquement interdits, mais un détenu exerçait secrètement dans l’un des dortoirs.

Dans le réfectoire des Innocupés  en 1939 régnait un « comptable », Ange Soleil.  Des bancs étaient attenants aux tables étroites, pas plus larges que les bancs. Chaque table regroupait huit détenus. Ange Soleil circulait parmi les prisonniers, prenant des notes dans un calepin. Police Magazine du 28 mai 1939 le décrivait ainsi :

« Ce comptable est un détenu, un garçon grand, fort, mulâtre aux cheveux crépus malgré la tondeuse à l’ordonnance. C’est un condamné aux travaux forcés qui eut son heure de célébrité. Sergent de la coloniale, il portait le nom singulièrement romantique d’Ange Soleil. Son crime était simple : il avait tué sa femme à coups de bouteille. Ensuite, il l’avait découpée en morceaux. Ceci ne l’a nullement empêché d’obtenir un emploi de choix, dont d’ailleurs il s’acquitte fort bien, assure l’Administration qui lui accorde les meilleures notes et des galons de bonne conduite. La morale d’une maison centrale n’est pas celle de la vie courante. - Quels sont ceux qui ont à réclamer à monsieur le Directeur ? a demandé le fameux dépeceur-comptable, d’une voix autoritaire d’ancien sous-off.  Aussitôt de nombreux bras se levèrent. (…) Le mulâtre Ange Soleil, qui n’est plus ici qu’un comptable immatriculé, prend note sur son calepin de la décision de monsieur le sous-directeur».

Infirmerie de la maison centrale de Fontevrault en 1939

Infirmerie de la maison centrale de Fontevrault en 1939

C’est à l’occasion d’un chapitre sur une visite médicale dans la centrale que Philippe Saint-Germain présenta Ange Soleil au temps de l’Epuration. L’infirmerie disposait d’un comptable général. L’Antillais occupait ce poste aux lendemains de la guerre. Il avait alors un adjoint comptable qui chaque jour passait dans les dortoirs pour relever auprès des prévôts les noms des malades. Le lendemain, des dizaines de prisonniers attendaient dans la cour de l’infirmerie de passer à la visite. D’après l’auteur, ils étaient d’abord vus par le comptable général qui décidait si leur état justifiait une consultation. La visite ne commençait qu’après l’arrivée du médecin civil, parfois après une longue attente. Le portrait du comptable général « droit commun » est particulièrement sévère, puisque peint par un « politique » qui n’hésitait pas à comparer le sort des condamnés pour faits de collaboration à celui des déportés à Buchenwald ou dans les camps sibériens :

« Le comptable général qui n’est autre ici, que le trop célèbre Ange Soleil, vedette de « Détective » et autres « Police Magazine », grand seigneur de la préfère et bourreau de sa femme, dépecée et emmurée par ces mains d’assassin, qui charcutent aujourd’hui la chair de ses codétenus. Ange Soleil est maître, tout tremble devant lui, le jour de la visite médicale, il préside à la sélection des entrants et des sortants, il parle en dictateur, menace, conseille, ausculte, opère. Un bruit dans les salles de l’infirmerie, il monte, sonne les gardiens, dénonce les coupables, témoigne au prétoire. Aux visites officielles de l’administration, il accompagne les gardiens, donne son avis au médecin, son diagnostic, rien ne se fait sans lui, il est le Soleil de son royaume, un soleil qui éblouit l’administration. Des médecins détenus sont arrivés. On les fait tourner en rond dans les cours, pendant que les bras surchargés de galons, Monsieur Soleil, se fait ouvrir toutes les portes par les gardiens déférents»

Le journaliste-détenu décrivait la visite médicale :

« Le médecin est donc entré dans son bureau, Ange Soleil l’assiste, et la visite commence. Pressés par trois gardiens, dix hommes nus pénètrent dans le cabinet médical, dix autres se déshabillent entre deux portes où s’engouffre le vent. Soleil interroge, décide, tranche, examine, distribue les remèdes. Le médecin se tait, approuve de la tête, signe les papiers, écoute distraitement les plaintes des malades, interrompu de temps à autre par les « pressons, pressons » du nègre infirmier. Quelquefois le médecin s’arrête sur un fiévreux : « Il faudrait le mettre à l’infirmerie ». « Peut-être, docteur, mais il n’y a plus de place ». Alors, on donne deux aspirines au malade, en le priant de revenir à la prochaine visite. Soixante, quatre-vingts détenus défilent ainsi en une heure, les plus chanceux sont les amis des amis de Soleil, respectueux de la puissance de leur maître. Pour eux, il se trouve toujours un lit de vide et s’il n’y en a pas, Soleil s’arrangera pour en faire libérer un.  Puis, tous les autres s’en iront à leurs ateliers, à leur marche forcée, avec l’espérance de la prochaine visite et deux cachets d’aspirine comme viatique. Il est midi, la cloche sonne la soupe, c’est l’heure de l’apéritif d’Ange Soleil, le bon Quinquina de la pharmacie, rehaussé d’alcool : image du bagne. »

Philippe Saint-Germain décrivait un épisode qui eut lieu en janvier 1947 pour montrer les pouvoirs exorbitants de ce prévôt-comptable :

« Puis un jour, c’est le drame que rien ne pourrait étouffer et qui précipitera la chute de cette royauté de dix années. Dans un dortoir, un homme, presque un vieillard, gémit de douleur, crève de fièvre, et s’est vu refuser l’entrée de l’infirmerie le matin même. Un docteur détenu est là chirurgien célèbre d’un grand hôpital du Midi. Il est qualifié pour secourir son camarade. Il l’ausculte et diagnostique sans qu’il soit possible d’en douter, une double pneumonie en pleine évolution. Il faut l’hospitaliser d’urgence, lui donner sans plus attendre les premiers soins à l’infirmerie de la centrale. Sur les instances du médecin, le prévôt sonne un gardien, on appelle Soleil. Furieux, celui-ci menace, lui seul a le droit en l’absence du médecin civil, de juger opportune une entrée à l’infirmerie. Personne n’a le droit d’ausculter et surtout pas un détenu, fut-il médecin. L’assassin se fâche tout rouge, appelle un gardien, exige la mise en prévention au cachot du médecin détenu et du malade.  Et en pleine nuit sur un brancard, on transporte le pauvre malheureux au mitard.  La nuit passe, et à l’aube, c’est un cadavre que le gardien tente de réveiller. Il y a là un assassinat véritable. Je l’ai signalé dans la grande presse, sans soulever un démenti de l’administration pénitentiaire, et pour cause ! Que faut-il penser de cette mort ? Comment appeler ce drame, et comment juger les complices qui ont permis à cet assassin d’ajouter une victime à son actif ? »

Des précisions sur cet épisode ont été apportées par Paul Rassinier dans un appendice à l’un des chapitres du Mensonge d’Ulysse. La démonstration négationniste de cet auteur ne nous intéresse pas. Edouard Gentez, un imprimeur condamné pour faits de collaboration quitta la prison de Fresnes pour Fontevrault à la fin de l’année 1946. Il souffrait de pleurite. Après la semaine de mitard, par où passaient tous les arrivants, il fut admis à l’infirmerie. Rassinier reproduit la teneur d’une lettre qui lui fut adressée par un détenu :

« Gentez est admis à l’infirmerie où règne en maître un boucher assassin, Ange Soleil, mulâtre qui avait découpé et emmuré sa maîtresse, ce qui le préparait aux fonctions de prévôt-infirmier-docteur de prison, bien plus puissant que le jeune médecin civil, un pommadin, nommé Gaultier ou Gautier. Soleil admettait à l’infirmerie les malades s’ils partageaient avec lui les deux tiers de leurs colis et renvoyait ceux dont les colis étaient les plus petits, par une règle extrêmement claire et simple. Gentez, n’ayant ni colis ni mandat, ne peut payer et, malgré la gravité de sa maladie, est muté aux « inoccupés », astreints à trois quarts d’heure de marche rapide, coupée d’un quart d’heure de repos, du matin au soir, tous les jours, y compris le dimanche. Gentez, trop faible, est dispensé de cette torture, mais n’est pas pour cela autorisé à se coucher ni même à s’asseoir ; il doit rester, durant la marche, debout, immobile, les mains derrière le dos, sans pardessus. Le froid aggravant sa pleurite, Gentez va chaque semaine à la visite où on lui remet de l’aspirine, de l’huile foie de morue, et où on lui pose des ventouses sans jamais l’admettre à l’infirmerie. Il se plaint sans cesse au long de la nuit. Les deux docteurs détenus, le chirurgien Perribert et le docteur Lejeune, l’auscultent le samedi matin, lui découvrant une broncho-pneumonie double. Gentez étant tombé dans la cour, l’infirmier alerté va chercher Ange Soleil qui se met à hurler, le traite de simulateur et le fait jeter au cachot, ainsi que le docteur Perribert, coupable d’avoir ausculté sans autorisation. Gentez est mis à nu pour la fouille et jeté en cellule par 15· au-dessous de zéro. Il frappe toute la nuit pour appeler, personne ne vient. Le lendemain 14 janvier 1947, on le trouve mort. On le transporte, enfin, à l’infirmerie où on le déclare mort en cet endroit d’une crise cardiaque. On l’enterre sous un simple numéro : 3479. Mais il y a un témoin gênant, le fils Gentez que j’ai connu en prison et aux côtés duquel j’ai vécu les péripéties de ce sombre drame. Il obtint une enquête. Celle-ci fut correcte. Ange Soleil fut transféré à Fresnes, mais a été libéré par suite des mesures d’amnistie (sic). Les directeurs Dufour, Vessières et Guillonet ont été déplacés. André Marie avait promis de ramener la peine du fils Gentez à trois ans, à la suite de cette tragique affaire. Il y a de cela plus de trois ans et, si je suis bien renseigné il est toujours enfermé ».Signé : Benoît C. Ceci est extrait d’une lettre qui m’est adressée de la prison d’X quelque part en France. »

Police magazine 1939. maison centrale de Fontevrault

Police magazine 1939. maison centrale de Fontevrault

Faut-il accepter ce document, tant les écrits de Rassinier comportent de graves contre-vérités ? De tels récits abondèrent dans les mémoires des épurés lorsqu’ils menèrent campagne pour une amnistie et quand ils mirent en cause la justice de l’épuration. Les débuts de la Guerre froide les incitaient à s’en prendre à la résistance communiste, à une justice de vainqueurs dominée par ces derniers. Plusieurs noms sont cités et il n’est pas évident de retrouver trace des différents protagonistes du drame. Le directeur Emile Dufour qui avait dirigé Fresnes durant les années trente n’était effectivement plus en poste à Fontevrault en 1947. Il siégeait au Conseil Supérieur de l’Administration Pénitentiaire en 1948 avec pour titre « directeur honoraire des prisons ». Edouard Gentez avait environ soixante ans en 1947, selon une liste de conscrits de 1907 à Fontenay-sous-Bois. Jeune, il était typographe, ce qui expliquerait la profession d’imprimeur à la maturité.

Les témoignages des épurés n’hésitaient pas à comparer leur sort à celui des résistants incarcérés avant eux, certains extrémistes se plaignant même d’un sort pire que celui des déportés des camps allemands. Le prévôt était alors assimilé à un kapo, le criminel galonné comparé à l’un des ces « triangles verts » qui semaient la terreur dans les camps de concentration allemands. Philippe Saint-Germain s’inscrit dans cette logique comparative. Les condamnés pour faits de collaborations ne bénéficiaient pas d’un régime spécial de détenu politique et il était donc essentiel de se différencier de la population ordinaire des maisons centrales, celle des prisonniers pour crimes de droit commun. La charge contre le comptable Ange Soleil doit être lue en fonction de cet état d’esprit. Philippe Saint-Germain offre une ultime description qui illustre parfaitement la démarche de bien des mémorialistes collaborateurs :

« Il est inconcevable de songer qu’en 40 et 47 la vie de milliers de détenus politiques a été remise sans contrôle entre les mains d’assassins, tous pourvus par l’administration, de postes de confiance dans les infirmeries. L’infirmerie de Fontevrault, nous l’avons dit, était dirigée par Ange Soleil, doublé de deux « perpétuité » dont l’un, condamné pour l’assassinat crapuleux d’une vieille femme de 70 ans, et l’autre pour l’assassinat de son enfant de quatre ans. Ces trois hommes ont exercé leur autorité absolue pendant des années entières, sur plusieurs milliers de détenus. Pas une entrée à l’infirmerie, pas une sortie, pas une hospitalisation, pas une piqûre, n’ont été décidées sans leur accord. Et le médecin civil, pour des raisons qui m’échappent encore, a couvert de son autorité cette mascarade qui, certains jours, tournait au tragique. Il faut avoir vu Ange Soleil passer à la place du médecin, la visite aux lits, ausculter les uns, charcuter les autres, prescrire des remèdes, pour comprendre l’odieux de certaines heures de notre bagne ».

Ange Soleil occupait un poste à responsabilité en 1939, et encore en 1946-1947. Il n’y a pas lieu de penser que sa position privilégiée fut modifiée pendant les heures sombres de l’Occupation. Les mémoires des internés communistes, députés, conseillers et dirigeants, transférés du camp d’Aincourt vers la maison centrale en décembre 1940, ne mentionnent pas Ange Soleil. Ils avaient été placés à l’écart de la détention ordinaire. Les condamnés résistants des années 1942-1943 ne disent rien du personnage, même s’ils étaient confondus avec les droits communs.  Dans toutes les prisons de Vichy, les conditions d’incarcération furent particulièrement dures, avec de grosses difficultés de ravitaillement, de nombreux cas de malnutrition, une hausse de la mortalité et des cas de tuberculose. Les rares colis des familles amélioraient l’ordinaire, mais les visites étaient rares dans les parloirs à doubles grilles, empêchant tout contact avec les proches. Les détenus résistants réclamaient surtout du pain, car les soupes aux choux ne nourrissaient pas suffisamment. Beaucoup de prisonniers souffraient d’ulcères à l’estomac, selon le pharmacien du village. Accéder à l’infirmerie en ces heures sombres était une question de survie. Quelle fut l’attitude d’Ange Soleil pendant l’Occupation? Nous n’avons pas retrouvé de témoignage sur son attitude durant ces quatre années.

Fontevrault ne se singularisait guère par rapport aux autres maisons centrales. Les évocations de Poissy, de Clairvaux, de Riom, d’Eysses au milieu du XXème siècle insistent sur la loi du silence, le travail à la tâche dans les ateliers, le désoeuvrement chez les Innocupés et bien sûr, l’arbitraire des prévôts. Ils ne devaient être supprimés dans les dortoirs que par une note de Charles Germain, Directeur de l’Administration pénitentiaire, le 8 mars 1950. Des témoignages supplémentaires permettraient de mieux appréhender les rigueurs disciplinaires dans la maison centrale de Fontevrault. 398 résistants ont été incarcérés dans cette prison. L’amiral Jean-Charles Abrial et le préfet Amédée Bussière revêtirent le droguet brun après 1945. Ce fut aussi le cas d’anciens combattants français de la Charlemagne, cette division qui se battit sur le front de l’Est aux côtés des allemands. Lourdement sanctionnés de peines de travaux forcés comme Pierre Rostaing ou Henri Fenet, ils séjournèrent à Caen, à Riom et à Fontevrault jusqu’à la fin 1949. Ont-ils laissé des mémoires ?

Concluons avec Jean Genet : « J’irais bien facilement à la guillotine, puisque d’autres y sont allés, et surtout Pilorge, Weidmann, Ange Soleil, Soclay. Je ne suis du reste pas sûr qu’elle me soit épargnée, car je me suis rêvé dans bien des vies agréables; mon esprit, attentif à me plaire, m’a confectionné sur mesure des aventures glorieuses ou charmantes » (extrait de Notre-Dame-des-Fleurs).

Bibliographie

Armand Mossé, Les prisons et les institutions d’éducation corrective, Paris, Librairie du recueil Sirey, 1939.

Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures. La prison pénale en France (1780-1875), Paris, Fayard,  1990.

Jean Genet, Notre-Dame-des-Fleurs, Paris, L’Arbalète, 1948

Jean Genet, Le Miracle de la rose, Paris, L’Arbalète, 1946.

Ivan Jabblonka, Les vérités inavouables de Jean Genet, Paris, Seuil, 2004.

Roger Poitevin, Abbaye-Bagne de Fontevraud, 1940-1944, des Résistants dans une  ancienne Abbaye. Préface de Bertrand Ménard, édité par l’AFMD 49 en septembre 2009. 230 pages.

Paul Colette, J’ai tiré sur Laval, Caen, Ozanne, 1946.

Pierre de Varaigne, Message d’un forçat, Paris, SPES, 1955.

Philippe Saint-Germain, Article 75, Paris, Bureau d’études et de publications sociales, 1951.

Jean-Claude Vimont, Les pamphlets d’épurés incarcérés après la Libération dans Michel Biard (dir.), Combattre, justifier ou tolérer ? Ecrivains et journalistes face à la violence d’Etat (16ème-20ème siècle), Rouen, GRHIS, Presses Universitaires de Rouen, 2009.

On consultera les séquences vidéos du patrimoine des pays de Loire mises en ligne sur You Tube sur le passé carcéral de Fontevrault : les interventions des historiens Jacques-Guy Petit et Philippe Artières, celles d’anciens résistants ou de leurs enfants, celles d’anciens surveillants et de leurs enfants ainsi que celles d’habitants de la commune.

Liaisons n° 112 : Architecture et patrimoine – Les trésors de la Préfecture de police

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préfecturepoliceCe numéro porterait tant sur le patrimoine ancien de la PP, chargé de symboles, de mémoire et d’histoire (caserne de la Cité, caserne des sapeurs-pompiers de Paris) que sur les réalisations récentes et les projets en cours (hôtel de police du 17eme), prenant en compte de nouvelles contraintes telles que le développement durable et l’accessibilité.

La mission des architectes de sécurité dans les établissements recevant du public (ERP) – centre Pompidou, théâtres, etc. serait elle aussi mise en lumière.

La sécurité aux abords des ERP serait également abordée, les policiers de quartier étant désormais associés dès l’origine à la conception de nouveaux projets comme les tours de la Défense. Ce numéro mettrait ainsi en avant les services et métiers de la préfecture de Police liés à l’architecture.

  • Éditeur : La Documentation française (20 août 2015)
  • Collection : Liaisons

 


Surveiller et punir : Quand l’Abbaye de Fontevraud devint prison

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Le 3 Août 1814, la maison-centrale de Fontevraud s’ouvre, prête à recevoir ses 500 premiers condamnés : hommes, femmes et enfants. Au fil des ans, la prison accueille des détenus au statut pénal divers, droit commun ou politique. Après sept siècles de vie monastique, une nouvelle histoire s’écrit dans les murs de l’Abbaye de Fontevraud…

Pour en savoir plus voir le billet publié sur le site Cite idéale de Fontevraud

Les prisons d’Agen dans la première moitié du XIXème siècle

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Archives décembre 2005 – Produit d’une collaboration entre les Archives départementales de Lot-et-Garonne et l’ENAP, cette nouvelle publication semestrielle explore l’histoire de la justice et des établissements pénitentiaires de notre département.
© Conseil général de Lot-et-Garonne
École nationale de l’administration pénitentiaire
Directeurs de la publication : Martine Salmon-Dalas et Georges Vin
Comité de rédaction : Isabelle Brunet, Pascal De Toffoli, Philippe Poisson, Marc Renneville
Conception et mise en page : Marie-Christine Saint-Mézard
L’enfermement punitif est une pratique ancienne mais l’histoire des prisons est récente. Elle s’est surtout développée sous le feu de l’actualité pénitentiaire et son regard s’est concentré sur les « grandes » prisons, comme les maisons centrales  ou les prisons des capitales régionales. A l’ombre de cette petite trentaine d’établissements, qu’en est-il des 400 prisons départementales qui quadrillent la France au XIXe siècle ? Coup d’oeil  sur une histoire encore discrète et fort méconnue, à partir du cas ordinaire de nos prisons d’Agen.
Pour en savoir plus voir le lien suivant :

Le Musée du Barreau de Paris

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Fallait-il démolir la prison de la Petite Roquette, rare exemple d’architecture panoptique carcérale ?

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Prison de la Petite Roquette, Paris, Le Parloir – Gravure d’après Felix Thorigny, juillet 1865.• Crédits : Leemage – AFP

1974 |Paula Jacques pour « Les après-midi de France Culture » en mars 1974, était allée suivre les défenseurs de la prison de la Petite Roquette à Paris, bel exemple d’architecture panoptique carcérale menacée de destruction …

  • Par Paula Jacques et Jacques Paugam
  • Avec Michel Vernes
  • Les après-midi de France Culture – Faut-il démolir la prison de la Petite Roquette ?
  • 1ère diffusion : 04/03/1974
  • Indexation web : Documentation sonore de Radio France
  • Archive Ina-Radio France

Les Nuits de France Culture par Philippe Garbit

Pour en savoir plus lire le billet publié sur le site de France culture.fr/emissions/

Quelques liens utiles :

Faut-il détruire la Petite Roquette ? – Criminocorpus

La Petite Roquette, la double vie d’une prison … – Criminocorpus

Le purgatoire des enfants maudits de la Petite Roquette – Criminocorpus

La Prison de la Petite Roquette vers 1900 – Criminocorpus

« Les enfants maudits de la Petite Roquette » un reportage d’Henri …

 

L’exposition DISCREET VIOLENCE : l’architecture et la guerre française en Algérie.

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La Colonie est fière de recevoir l’exposition DISCREET VIOLENCE : l’architecture et la guerre française en Algérie.

RDV mardi 19 juin dès 16 heures pour le vernissage en compagnie de Samia Henni, Léopold Lambert, Sihem Zine et Hassina Mechaî pour une discussion autour des états d’urgence et à 18h30 pour la visite guidée de l’exposition.

Discreet Violence : L’architecture et la guerre française en Algérie est une exposition mise en place par la chercheuse Samia Henni autour de l’histoire des camps de regroupement en Algérie. Présentée à Zurich, Rotterdam, Berlin, et Johannesburg, elle n’avait jamais été montrée en France jusqu’alors.

Tout le projet et les événements ponctuant l’exposition sont à retrouver ici Discreet Violence : L’architecture et la guerre française en Algérie …

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